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Charles Lutwidge Dodgson, dit Lewis Carroll

Charles Lutwidge Dodgson , Le Loup Photographe «dit» Lewis Carroll
27 Janvier 1832 – 14 Janvier 1898

Lewis Carroll 1856

Il est temps de faire cesser cette obsession.
C’est l’histoire d’un homme-enfant qui se débarrasse de plus de 3000 clichés qui partent en fumée. Il se répète à lui-même «Charles, il est temps de faire disparaître tout ce que je n’explique pas de moi, ce que les gens ne comprennent pas et souillent de leurs pensées».
Un peu de cire chaude coule de la bougie vacillante, puis la flamme lèche les rebords du premier cliché et c’est l’embrasement. Les tirages sur papier, les négatifs de ces petites âmes pures, l’architecture, les portraits de célébrités de son temps, les rares paysages, mais surtout ses photos de ses « enfants-amies » qui commencent à faire parler la moralité de la société victorienne, tout cela n’est plus qu’un tas noir se consumant . Nous sommes en 1880 et l’homme, connu sous le nom d’écrivain de Lewis Carroll, décide d’arrêter la photographie.

Né en 1832 à Daresbury dans le Cheshire en Angleterre, il fait partie des 11 enfants d’une famille baignée dans le carcan d’un père pasteur de l’Eglise anglicane. Séparé de ses sœurs, il n’aura de cesse de préférer s’entourer de la grâce féminine, comme une nécessité. De son propre aveu, il préfère la compagnie des filles, sans doute à la recherche de cet amour maternel qui ne l’a jamais enveloppé de sa douce chaleur, de cette mère morte à 47 ans épuisée par les grossesses et plutôt habituée à montrer son attachement par les coups et les privations. Le garçonnet, l’élève Charles, bégayant et gauche, est doué déjà très jeune pour se créer son propre monde où l’enfant est seul juge et acteur-star de sa vie, à la fois rêvée et cauchemardée. Le nonsense, genre littéraire basé sur le paradoxe, initié par son père qui l’utilisait déjà, sera le maître mot de tout ce qu’il touchera : Logicien, il se fait professeur de logique symbolique : tout est inversé, l’envers de la réalité est le réel, l’autre côté du miroir est le vivant. Professeur au Christ Church College d’Oxford, ce timide, effacé et discret devient diacre en 1861. C’est dans les mots qu’il vit et s’exprime : ouvrages d’algèbre, de mathématique, d’énigmes, de jeux verbaux, le nonsense est l’essence de sa prose qu’il publie parfois dans la revue Train. C’est d’ailleurs le rédacteur Edmund Yates qui choisira pour Charles, Lewis Carroll pour nom d’écrivain.

lewis carroll 1858

D’un appareil acheté à Londres alors qu’il a 24 ans, la carrière du photographe prend vie. Nous sommes environ 10 ans avant Alice au pays des merveilles. Dès lors, par la lorgnette, les petites filles seront son sujet favori. La pureté de l’enfance, les traits juvéniles à jamais figés et inaltérables, voilà ce qui fascine notre créateur. Il peut sans complexe coucher sur bromure d’argent toutes ces demoiselles, caresser le papier photo, frôler leur sensualité naissante, immortaliser leurs regards charmeurs, jouer des déguisements et des mises en scène, comme dans un roman photographique, dans la solitude d’une chambre noire, témoin de ses fantasmes et de son regard d’homme. « J’espère que vous m’autorisez à photographier tout au moins Janet nue ; il parait absurde d’avoir le moindre scrupule au sujet de la nudité d’une enfant de cet âge », écrit-il en 1879 et Mme Mayhew donne son accord.

Le déclic vient d’un après-midi enchanteur. Parti pour photographier la cathédrale vue du jardin du doyen Liddell, Dodgson découvre le charmant tableau de ses trois filles, assises sur l’herbe comme un tableau impressionniste et la magie de l’écriture s’éclipse devant l’objectif. Alice et ses sœurs deviendront ses amies de jeu. On s’invente des scénarios où la mendiante côtoie le corsaire, où la jeune fille esseulée s’endort dans une pose lascive qui pourrait en émoustiller certains. Que voit le photographe à cet instant, quel regard pose l’écrivain dans sa frénésie à multiplier encore et encore les photos de toutes ces fillettes et des centaines de lettres ? « La photographie est la nouvelle merveille du jour », dira-t-il. Un outil pour laisser libre court à sa créativité et son idée fixe. Ces petites merveilles justement, ses « amies-enfants », en leur présence il ne bégaie plus. Elles sont son égal, il est comme elles, il a plaisir à leur inventer des histoires sans aucune logique, qu’elles écoutent captivées, la bouche ouverte, les yeux dans le rêve, le regard plus vraiment innocent parfois. On suspend l’histoire pour faire des clichés, pour bien capturer cet instant magique avant de replonger dans l’imaginaire. Dodgson peut mettre en image ses obsessions profondes, la fraicheur, la pureté de l’enfance, une façon de s’approprier des âmes juvéniles dans la « bienséance ». La photographie, c’est la part obscur de l’auteur.

Là où Alice Liddell lui inspirera son héroïne dans Alice au pays des merveilles en 1866, le cliché de la petite Agnes Weld qui sera exposé à Londres en 1858, semble redonner vite au conte du Petit chaperon rouge de Perrault avec sa capeline et son regard fauve attendant le loup ? Et quand est-il des autres portraits ?

lewis carroll 1879

Quoiqu’il en soit, les diverses inspirations et réactions gênées des photos commencent à faire parler de son auteur et finissent par faire bannir le photographe des maisons de la haute société victorienne. Elle qui se sentait flattée d’avoir immortalisé sa progéniture chérie lui tourne le dos, et le voilà privé de ses sujets favoris par peur du scandale qui gronde, et de la société qui commence à jaser.

De toute façon la photo ne l’intéresse plus, l’arrivée de la gélatine en 1880 qui remplace le procédé du collodion humide, donne pour lui un air de facilité à la pratique, l’ouvre à la portée de tous et la banalise. Il range définitivement l’appareil photo et insiste sur la plume. Il n’empêche que son œuvre photographique n’en reste pas moins une formidable captation de son époque. On retiendra de son travail le souci de la mise en scène, une lumière léchée et étudiée qui enveloppe l’expression même du modèle de son regard personnel et intriguant. Il met en lumière le moment rêvé ou la petite fille mi-enfant, mi-femme prend vie dans son imaginaire. Alors obsession, sans doute, d’un auteur qui en quête d’identité se sentait mieux en présence d’enfants innocentes, syndrome de Peter Pan avant l’heure. Certains lèveront le voile de la moralité suscité par quelques clichés à la limite de la décence (les clichés de Evelyne Hatch nue) qui de nos jours provoqueraient une déferlante accusatrice sur la toile. La question est de savoir jusqu’où va l’innocence de son auteur ? La dramaturge Karoline Leach dans son livre Lewis Carroll, une réalité retrouvée a réalisé un très grand travail justement sur cette chasse au puritanisme. Son travail met un point final aux suppositions de pédophilie, reste à chacun de se faire sa propre opinion. Charles Dodgson a quant à lui pris soin en son temps, de détruire tout ce qui commençait à faire un trop fort sujet à débat et lui seul connaissait les réels rouages de sa démarche photographique.

En attendant, il reste d’après Brassaï, « l’un des plus grands photographes de son temps », nous laissant pour témoins les quelques mille clichés qui ont survécu, narrant une ère victorienne où des petites filles en fleurs s’ébattent dans un univers de fées et de vie onirique imagée par son auteur.

Par RoxtheRoh
Journaliste Photographe

Largement inspiré de la vie du Charles Lutwidge Dodgson 1832-1898
« J’ai choisi de parler du travail de Lewis Carroll, surtout connu pour ses écrits mais qui reste un photographe portraitiste important, avec des clichés perturbants, parfois controversés mais tellement vivants.»

 

Rox the Roh journaliste photographe

Auteur de l'article :
RoxtheRho
Journaliste Photographe
https://twitter.com/RoxtheRoh

 

Au service de la photographie depuis 2001