Un petit tour dans la machine à remonter le temps, et tandis que Serge Gainsbourg chante « la beauté caché se voit sans délai », me revient le souvenir d’un certain Jeanloup Sieff, qui au même moment, nous dévoile au travers d’images noir et blanc inoubliables, la beauté plastique qui va rester à tout jamais dans la mémoire collective.
Je revois encore les pages des magazines de la presse spécialisée, des années 80, qui ont trouvé un écho aussi enthousiaste, que réprobateur. Rien de plus normal, car de tout temps, les peintres, puis les photographes, ont osés montrer le corps, qu’il soit masculin, ou féminin, et Jeanloup Sieff, à une fois de plus trouvé des partisans et de nombreux détracteurs, jugeant sa vision, comme outrageuse, à l’égard de la représentation de la femme. Il n’en reste pas moins, qu’il souffle un vent de liberté, pour s’exprimer.
Si l’on a oublié un certain David Hamilton, photographe anglais, qui photographie les jeunes filles en fleur, à la même époque, beaucoup se souviennent de Sieff, avec l’apport d’un vrai regard, et d’un style, qui fait date.
Jean Loup Sieff est né Jean-Louis Sieff, le 30 novembre 1933, de parents d’origine polonaise.
Son père, exerce la profession d’ingénieur, mais décède alors qu’il n’est âgé que de trois ans.
C’est dans le Parc du Montsouris, à Paris, dans le XIV e ardt, qu’il fait ses premiers pas.
Il raconte : « La solitude fut la compagne de mon enfance (perte du père)… ».
Fils unique, il est élevé par Anka, sa mère.
A 14 ans, il reçoit d’un oncle, un petit appareil de marque Photax, de couleur noir, avec lequel, il découvre la magie de la photographie.
Il s’initie aux joies de l’agrandissement photographique, à l’aide de revues, et se construit un laboratoire, avec un vieil agrandisseur en bois, qu’il accroche au mur.
A 17 ans, sa première photo, d’un lac embrumé est publiée dans « Photo -Revue », ce qui lui vaut de remporter « le quatrième prix de paysages surexposés ».
Il dit : « Quand j’ai commencé, c’était purement physique : le plaisir de voir une image apparaître, tripoter le papier dans le liquide.
Cela a duré deux ans. Je tirais la nuit en écoutant toujours le même disque de Brassens.
Je ne voulais pas devenir photographe ; je pensais à l’IDHEC.
A l’époque, j’étais fou de Jazz et j’ai commencé à faire des photos simplement parce que le fait d’avoir un appareil me permettait d’être au premier rang pour mieux écouter la musique. (Extrait de « Dîner de têtes » chez Jeanloup Sieff in Camera International N° 1 novembre 1984.) »
1938 à 1945, il fréquente l’école primaire à Paris, et poursuit ses études secondaires au Lycée Chaptal.
Il raconte : « Du collège Chaptal, où je m’ennuyais jusqu’au premier bachot, je conserve le souvenir gris et sans odeur d’heures interminables, de premier émois amoureux, des films américains de série B- devenus aujourd’hui des classiques que j’allais voir en séchant les cours , d’une frénésie de lecture qui allait des centaines de polars achetés d’occasion, dans une boutique de la rue Legendre à mes premières tentatives pour aimer Marcel Prouts ».
Passionné de cinéma, il découvre « Hiroshima » d’Alain Resnais, et les films de Howard Hawks, Alfred Hitchcock, John Ford, ou Otto Preminger.
Il parle de Michelangelo Antonioni, Roberto Rossellini, ou Jean Renoir.
« J’ai toujours été inspiré par le cinéma, et certains réalisateurs ont eu une influence directe sur mes photos ; Eisenstein, Orson Welles, Dreyer ».
Son film fétiche est : le cuirassé Potemkine, d’Eisenstein.
Il passe le plus clair de son temps dans un cinéma de la Place Clichy, ce qui lui vaut d’être renvoyé du lycée, pour ses nombreuses absences injustifiées.
Les études ne l’intéressent guère, il préfère aller danser et jouer au Poker avec ses copains.
Il se passionne également pour la lecture, avec comme auteur de prédilection, un certain Marcel Proust.
Dans les écrits qu’il laisse, on retrouve d’ailleurs cette fameuse notion du temps, dont on peut juger par cet extrait.
« Pourtant, c’est bien du temps qu’il s’agit, du temps qui glisse entre les doigts, entre les yeux, du temps des choses et des gens, du temps des lumières et des émotions, et qui jamais plus ne seront semblables. »
« La représentation photographique ne sera, hélas jamais fidèle au sentiment qui l’a fait naître, mais même dans son imperfection, elle est cette tentative, naïves, de retarder la mort, d’arrêter le temps sur un regard, une lumière, un moment privilégié, qui jamais plus ne seront semblables mais continueront à vivre grâce à elle, comme ces étoiles mortes depuis des millénaires, mais dont la lumière n’a pas encore fini de voyager vers nous, pour nous montrer ce qu’elles furent. »
Il poursuit ses études au Lycée Jacques Decours et obtient son bac de philosophie.
Durant l’été de 1953, qu’il passe en Pologne, il caresse l’espoir de devenir metteur en scène de cinéma, et prépare le concours de l’IDHEC, la célèbre école de cinéma.
A la rentrée, il renonce à passer ce concours, et se tourne vers celui de ce qui est alors l’EPTC, (école de photographie technique et de cinéma), plus connue aujourd’hui comme l’école Louis Lumière.
Reçu, il n’y passe que quelques semaines, dont il garde un mauvais souvenir.
Il part ensuite à Vevey en Suisse, en novembre , toujours pour y apprendre la photographie, mais cette fois il va y passer sept mois, pour y apprendre la technique.
Il fait connaissance avec l’univers de la danse, qui figure dans le cursus.
Subjugué par la beauté d’une danseuse, il réalise des portraits dans la classe de Boris Kiasneff, qui enseigne au ballet de Lausanne.
1962, il publie l’ouvrage « J’aime la danse ».
Il laisse également des images de danseurs célèbres, comme Carolyn Carlson, ou Rudolf Noureev, qu’il photographie à ses débuts à l’opéra de Paris.
Bien qu’il se plaise au bord du Lac Léman, il ne tarde pas à rentrer à Paris, pour aller frapper à la portes de toutes les rédactions, pour proposer des sujets divers et variés, tel le congrès des témoins de Jéhovah, la vie des clochards sur les quais de Seine, ou les petits métiers voués à disparaître.
Pendant une année, il fait des reportages le jour et tire ses photos la nuit, pour aller les présenter, hélas sans succès.
Arrive le mois d’août 1955, et un coup de téléphone du journal ELLE, qui ne trouve pas de photographe, et lui propose un reportage à la Baule.
Après avoir fait mine d’être surbooké, il rappelle le journal dix minutes plus tard, pour dire qu’il va tâcher de trouver un créneau.
Il débute comme photographe pigiste pour ce magazine, avant d’y être embauché comme salarié, en qualité de photographe de mode.
Il officie avec un vieux Rolleiflex, et roule dans une belle Renault 4 CV noire achetée d’occasion.
Il se retrouve à couvrir le mariage du Prince Régnier de Monaco, avec Grace Kelly, en avril 1956.
1958, il quitte ELLE, et la sécurité d’emploi, pour retrouver sa liberté.
Henri Cartier –Bresson examine ses photos, en les regardant à l’envers, et lui ouvre la porte de la rue des Grands Augustins.
Il écrit : « J’entrais en religion et rejoignis l’agence Magnum club austère de la photographie engagée ou officiaient Henri Cartier-Bresson, Marc Riboud, Ernst Haas et d’autres moines combattants dont certains devinrent mes amis. »
Envoyé couvrir la mort du pape Pie XII à Rome, il a photographié, Chou en Lai, en 1956, qui l’invite en Chine, puis il se rend en Pologne, et en Turquie.
Après une année, il reprend sa liberté et travaille en indépendant pour le magazine Réalités.
Un reportage sur des mineurs, en grève, dans le Borinage réalisé en Belgique, lui vaut le prix Niepce en 1959.
Cet ouvrage intitulé « Borinage », paraît, il n’a alors que 24 ans.
Il collabore également à la revue « Jardin des Modes », au côté d’Helmut Newton, et Frank Horvat .
Jacques Moutin , le directeur artistique, qui n’est autre que le neveu de Lucien Vogel, le fondateur du célèbre journal « Vu », lui offre une liberté de création.
A 25 ans, malgré qu’il soit inscrit comme étudiant, il est appelé sous les drapeaux, et fait trois semaines de service militaire dans l’artillerie coloniale à Vernon.
Suite à mon comportement, et son refus de servir en Algérie, il obtient d’être réformé.
Au printemps 1961, il part tenter sa chance à New-York, et réalise un reportage sur le festival de Jazz de Newport, pour le magazine Show, avec la complicité d’Henry Wolff, l’ex directeur artistique de « Harper’s Bazaar ».
Il est l’un des rares photographes Français à réussir, à y faire une carrière fructueuse.
ESQUIRE, GLAMOUR, LOOK, VOGUE, et HARPER’S BAZAAR, par l’entremise de Marvin Israël, qui en est le nouveau directeur artistique lui ouvre les portes du milieu très fermé de la mode, et de la publicité.
Il rencontre Richard Avedon, qu’il considère comme le maître absolu de la photo, et se lie d’amitié avec ce dernier.
De retour à Paris, en 1966, il fait l’acquisition d’une résidence secondaire située aux Petites Dalles, une station balnéaire sur la Manche entre Fécamp et St Valérie en Caux.
Cette demeure de silex et de briques à été construite par le frère aîné d’Alphonse Daudet.
Il se trouve l’atelier de ses rêves, pourvu d’une immense verrière, pour y installer son studio.
C’est là, au 87 rue Ampère, dans le 17 e ardt, qu’il vit, entouré de ses chats.
Dans ce lieu, il réalise de nombreux portraits, et répond à de nombreuses commandes, notamment pour Chanel, Carel, ou Revlon.
1967, il photographie une femme dévêtue pour la marque de lingerie Rosy, sans qu’apparaisse le soutien gorge, dans l’image publicitaire.
Août 1970, il fait connaissance de Barbara Williams, une jeune modèle d’origine allemande, avec laquelle il travaille, qui exerce également comme photographe.
1971,Yves St Laurent pose nu , devant l’objectif de son HASSELBLAD, pour vanter la sortie de « Pour Homme », la première eau de toilette masculine du couturier.
Le slogan qui accompagne cette image qui fait scandale est : « Depuis trois ans cette eau de toilette est la mienne, aujourd’hui elle peut être la votre. »
Un exemplaire de cette photographie appartenant au collectionneur allemand Gert Elfering, à lors d’une vente aux enchères, chez Christie’s à Paris le 30 juin 2010, a été adjugée pour la somme record de 39 400 €.
1972, c’est à l’invitation de Jacques -Henri Lartigue devenu célèbre avec son portrait présidentiel, qu’il est exposé aux Rencontres d’Arles.
1975, il découvre l’usage du film photographique TRI X PAN, de Kodak, un film noir et blanc, qu’il développe dans du D 76, un révélateur également fabriqué par le géant de Rochester.
Il signe une photo du Café de Flore, qui reste emblématique, et qui apparaît en couverture du livre « Paris Mon Amour » de Jean-Claude Gautrand.
C’est avec originalité, et un grand savoir faire de la pratique du labo, qu’il va imposer un usage du noir et blanc, à l’égale des meilleurs représentants du genre.
Cela ne l’empêche pas d’utiliser de la Kodachrome, une émulsion qui permet d’obtenir des diapositives couleurs, pour ses travaux de commandes.
1976, Agathe Gaillard, montre ses « 43 portraits de dames remarquables pour une raison ou pour une autre, dont quelques paysages hautains », dans la première galerie de photographies, qu’elle a ouverte l’année précédente, rue St Louis en l’île.
Cette même année, avec l’aide de Chenz, alias Daniel Chénard, il signe « La photo » aux éditions Denoël.
Cet ouvrage qui concilie technique, humour et vulgarisation de la pratique photographique, va rencontrer un beau succès d’édition.
Eté 1977, il loue un mobile home, et fait un voyage de six semaines dans le désert de l’ouest des USA, en compagnie de sa future épouse.
Il devient éditeur, en 1978, de son propre ouvrage « La Vallée de la Mort », dans la collection qu’il dirige, « Journal d’un voyage 1er », édition Filipacchi/Denoël Paris.
L’occasion de publier, trois autres ouvrages : L’un de son ami Robert Doisneau « La Loire »puis « L’Egypte » de Duane Michals, enfin, « Le temps de Vieillir « de Martine Franck.
1979 Barbara Rix Sieff, sa femme donne naissance à leur fille Sonia, puis en 1981, à leur fils Sacha.
1981, il est fait Chevalier des Arts et des Lettres.
Parmi ses images figure une photo de sa compagne enceinte, qui servira dans une publicité pour promouvoir la sortie du Nikon EM, un appareil photo qui doit permettre de démocratiser l’usage du 24 X 36, au début des années 80.
L’usage du film 35 mm du grand angle, d’un 21 mm F 3, 4 monté sur un Leica M 4, ajouté au grain inimitable de la 40 asa, et des tirages en noir et blanc savamment travaillés, et quelques filtres pour densifier les valeurs et faire sortir les nuages , vont lui valoir d’imposer un style reconnaissable.
Rappelons-nous, que l’usage des zooms n’est pas encore répandu. On utilise des objectifs fixes, de différentes focales.
L’outrance avec laquelle il fait monter les ciels ; en laissant quelquefois apparaître la trace du masquage, lui vaut d’être méprisé par de nombreux photographes amateurs.
Cette façon de dramatiser, en utilisant un papier contraste, semble lui être inspiré de Bill Brandt, un photographe anglais qu’il admire.
Cette patte se retrouve également dans les photos de nus personnelles, qui vont lui amener une reconnaissance, avec trois autres ouvrages parus chez Contrejour, avec la complicité de Claude Nori, photographe à l’origine de cette maison d’édition, qui révèle le talent de Guy Le Querrec, Bernard Plossu, Sebastião Salgado, Robert Doisneau, Edouard Boubat, Willy Ronis, ou Sabine Weiss.
« Portraits de dames assises , de paysages tristes et de nus mollement las, suivis de quelques instants privilégiés et accompagnés de textes n’ayant aucun rapport avec le sujet » est publié en 1982.
Les cartes postales, les posters et de nombreuses publications dans la presse spécialisée, vont faire de lui, un personnage connu du grand public.
1984, il réalise de nombreuses images de catacombes, du couvent des Capucins à Palerme.
1986, le musée d’Art Moderne de Paris lui consacre une rétrospective, avec la présentation de 300 de ses photos.
Le jour de la disparition de Coluche en juin 1986, le journal Libération fait la Une, avec le portrait triste signé par Sieff de l’humoriste.
1990, il est nominé au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur.
« Demain le temps sera plus Vieux »est publié par les éditions « Contrejour », cette même année.
1992, il reçoit le Grand Prix national de la Photographie, une des plus belles distinctions dans la discipline.
Son livre « Derrières hommage à quatre vingt treize derrières choisis pour leurs qualités plastiques, intellectuelles ou morales » est publié en 1994.
1997, ses photographies de Verdun, et de divers lieux de combats, de la première guerre mondiale, font l’objet d’un livre.
Lorsqu’il répond à la question, quels sont les photographes qu’il aime le plus et pourquoi ?
Il dit : « Ils sont nombreux, Eugène Smith, Bill Brandt, Munckasi, Kertesz, Paul Strand, Atget, Weston, Duane Michals …parce qu’ils allient la beauté plastique, la rigueur de la forme et l’unicité de la vision ».
IN La Photo Chenz & Jean Loup Sieff éditions Denoël 1976.
Il lui arrive de prendre position, et de donner son point de vue.
« Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, Bill Brandt, Kertész, Paul Strand, Cartier Bresson, et quelques autres auront ouvert à jamais de petites portes magiques sur la lumière du monde, et rien n’est plus important que cela ».
Pour certains, la photographie n’est qu’un moyen au service d’un discours, d’un constat, d’une réflexion, sur le monde. Ils privilégient souvent le fond à la forme et se veulent témoins invisibles et critiques , des événements qu’ils dénoncent ou glorifient.
Ils récusent « la belle image » et ne recherchent que l’efficacité du témoignage. Mais que ce témoignage est fragile, et qu’il est facile de faire dire à une photographie le contraire même de ce que croyait affirmer son auteur.
« Une image est, d’une certaine façon, condamnée à être « belle » pour être efficace, quels qu’en soient le sujet, la raison et aussi gênant que cela puisse paraître à certains.
Après tout « l’international » est avant tout une belle chanson !
Je me demande parfois , si la photographie d’un paysage ou d’un corps de femme , n’est pas plus chargée en « subversion exemplaire » que d’autres, images de guerre ou de violences, dont la multiplicité même ne provoque, à la longue , qu’acceptation résignée de la bêtise humaine. »
(16 /11 /1980)
Son inspiration ; il la trouve dans la peinture, et notamment celle de l’art nouveau, avec Egon Schiele, ou Gustav Klimt, mais aussi dans les sculptures d’Alberto Giacometti.
Une de ses photos de nu, s’inspire de la pose que le peintre Georges Seurat, à fait prendre à l’un de ses modèles, dans son tableau « Les poseuses ».
Il aime également la littérature, et compte parmi ses auteurs préférés, Cioran, Georges Perec, Marcel Proust, Sacha Guitry, Maupassant, Paul Valéry.
Ses photographies figurent dans les collections de la bibliothèque nationale de France (Paris),moderne (Paris), « Tulsa Art & Humanities Council » musée Réattu (Arles), musée Sterxhof (Belgique),musée de Toulon, musée d’Art moderne (Paris), Fonds national d’Art contemporain, (Puteaux),collection FNAC, Maison Européenne de la Photographie (Paris), fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris ), Centre Georges Pompidou (Paris),Musée collection Lhoist (Belgique),Moderna Museet Stockholm (Suède),Corani Art Museum (Japon) , Tokyo metropolitan muséum of Photography (Japon).
Jeanloup Sieff meurt à 77 ans, le 20 septembre 2000, à l’hôpital Laennec, d’un cancer.
Dans la préface de son exposition au musée d’Art moderne, il écrit : « J’aimerais bien pouvoir me transformer en un petit nuage blanc, et me sauver sur la pointe des pieds dans le ciel bleu ! ».
(12/03 1986)
L’image qu’à laissée Sieff, pour bon nombre, est celle d’un photographe de mode mondain, ayant réussi à gagner de l’argent facile, qui photographie de jolie filles, et qui mène grand train.
Antonioni aurait pu s’inspirer de lui pour son film « Blow up « tant il est vrai qu’il aimait les belles voitures anglaises, et qu’autour de lui plane une aura pleine de mystère. Une Triumph TR 3, une Austin –Healey vert d’eau, une Bentley bleu marine et une Aston Martin DB 6 noire, qui figure dans une de ses photographies, renforce le mythe.
On lui a souvent collé l’étiquette du photographe qui faisait un usage immodéré du grand angle et qui aimait particulièrement photographier les fesses des mannequins.
Hervé Guibert, alors jeune critique au journal Le MONDE, écrit à la sortie d’un de ses ouvrages : « J’aime beaucoup les photos de Sieff, mais quand il copie Clergue, Doisneau, Newton, ça ne va plus ».
Ces quelques mots, dans une publication nationale qui tire à 500 000 exemplaires, et voila Sieff blessé à tort.
Travailleur acharné, discret, rigoureux, il aimait prendre son petit déjeuner au Café de Flore, dans le quartier chic de Montparnasse, de quoi lui valoir à nouveau une étiquette.
Certes il a photographié de nombreux modèles dénudés et il aimait la beauté des femmes, mais il a également ouvert de nombreuses portes avec sa photographie de paysages, ses portraits et l’inventivité dont il a fait preuve dans la photo de mode.
L’important, c’est qu’il faisait des photos personnelles, ou de commande, et qu’il exprimait le reflet d’une liberté à voir, y compris des nus féminins.
Erotisme ou représentation de photographies pornographiques pour certains, on ne saurait pourtant lui attribuer ce qu’on désigne aujourd’hui comme « le porno chic » que l’on peut attribuer à Helmut Newton, ou à Guy Bourdin.
Son livre sur le désert de la mort, un coin célèbre du désert de l’ouest Américain, paru en 1978, à été une ode à la photographie noir et blanc.
Il a signé plusieurs centaines de portraits , de personnalités du milieu artistique et culturel international, dont François e Sagan, Coluche, Aldous Huxley, romain Gary, Jean-Claude Brialy, Jane Birkin, Catherine Deneuve, Yves Montand , pour n’en citer que quelques uns.
Il dit : » Faire un portrait est avant tout un acte de sympathie, et même si l’on (prend une photo), ce n’est pas un acte de possession !
Avant tout c’est un échange entre deux personnes, par appareil photographique interposé ; mais un appareil qui les unis plus qu’il ne les sépare.
C’est pour cela qu’un portrait est la chose la plus difficile à faire, et la plus éprouvante, car j’ai toujours peur de passer à côté de ce que je ressens pour quelqu’un, ou de montrer que l’aspect physique sans que rien ne vienne (éclairer) la vie intérieur, la personnalité, ce qui fait que chacun est autre et unique.
Evidemment il y a la technique, la lumière, la composition, mais tout cela ne serait rien, sans un regard qui sourit, une main qui s’abandonne une épaule qui parle de timidité ou d’amour.
Tenter de réunir ces éléments en une seule image, tout en guettant (l’accident) du moment privilégié, est une entreprise souvent frustrante, toujours exténuante, mais que le plaisir est grand et l’exaltation heureuse, lorsque l’image finale a rassemblé, miraculeusement, celui qui attendait et celui qui donnait ! »
In Photo 1994
Jeanloup Sieff reste dans la mémoire avec ses photographies, mais il n’était pas en reste de bons mots, et les textes qui accompagnent ses livres, nous prouvent à quel point, il excellait dans l’usage des mots.
« Mes photos sont autant de petits cailloux noirs et blancs que j’aurais semés, pour retrouver le chemin qui me ramènerait à l’adolescence. »
« J’assume à nouveau, ce qui aura été ma seule motivation à faire des photographies, en dehors de l’amortissement de mon cadeau d’anniversaire, c’est le PLAISIR. »
« Toute ma vie j’aurais recherché le temps perdu, longtemps je me serais retourné sur ce qui fut, mais j’ai prétendu faire pour me souvenir, c’était sinon faux, du moins prématuré, car je ne photographiais que pour me faire plaisir, même si je pleurais ensuite ce plaisir enfuit auquel mes images me renvoyaient ».
« Mes photographies ne sont ni militantes, ni objectives, je ne témoigne de rien, n’ai aucun message à délivrer ni point de vue à faire valoir.
D’avance je refuse les exégèses et ne prétends pas laisser ni « œuvre », ni monument, ayant toujours préféré la vie au jour le jour à l’édification ridicule de piédestaux pompeux voués à une postérité dérisoire ».
« Une des motivations de mon travail, est une tentative trop improbable pour n’être pas vouée à l’échec. Pourtant, c’est bien du temps qu’il s’agit, du temps qui glisse entre les doigts entre les yeux, du temps des choses et des gens, du temps des lumières et des émotions, et qui jamais plus ne seront semblables. »
« Quelle erreur de donner à la photographie valeur de témoignage objectif, elle ne fait que se servir de la fugacité, elle n’est qu’une mémoire nette renvoyant à des souvenirs flous, miroir sans tain d’une réalité transformée par celui qui la vit, imaginée par celui qui en découvre, les images. »
Jeanloup Sieff reste un auteur auquel de nombreux amateurs, ou professionnel, se sont identifiés, tant il est vrai, qu’il a su montrer différentes facettes de la création photographique avec brio, tant dans l’univers de la photo de mode, que dans son travail d’auteur.
Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique :
Chronique par Roland Quilici
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