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La photographie de guerre (I)

La photographie de guerre (I)

La photographie de guerre, depuis la guerre de Crimée jusqu’à la « grande guerre »

Par : Alain Rio

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A la lecture de l’actualité, on se rend bien compte que le traitement que pourraient faire les journalistes de la guerre est dérangeant. Les autorités militaires, qu’elles soient en Irak, en Afghanistan ou ailleurs, musèlent autant qu’elles le peuvent les photographes professionnels et journalistes de télévision, leur interdisant de rapporter des images qui pourraient saper le moral des troupes ou de la population en marge du front. Il s’agit d’une part de présenter l’événement sous une forme qui permet de justifier aux yeux du grand public ces interventions militaires, d’autre part de ne pas divulguer des informations « sensibles » à l’ennemi ou d’exposer inutilement certaines personnes à des actions de répression. 

On est aujourd’hui bien loin de l’époque de Robert Capa qui, témoin de la guerre civile d’Espagne du coté républicain et du débarquement sur les plages de Normandie en juin 1944, se mêlait aux combattants pour pouvoir faire des images au cœur de l’action. Lui qui jugeait que si la photo était mauvaise c’était parce que le photographe n’était pas assez près du sujet, a pu réaliser et publier des images d’un grand dramatisme qui ont sensibilisé les opinions publiques du monde entier. On a tous en mémoire par exemple cette image du républicain tombant à la renverse par l’effet d’un tir mortel des forces franquistes. Cette image fameuse, il est vrai, a par la suite fait l’objet d’une longue polémique. S’agissait-il d’une mise en scène ou non ?

Cette époque, si vous m’en permettez l’expression, fut le début de la « période de gloire » de la photographie de guerre, suivie ensuite par les guerres de Corée,  du Biafra, du Vietnam où les images ont sans doute eu un plus grand impact sur les opinions publiques concernées. Nous développerons ce point lors de la prochaine chronique.

L’intérêt de traiter de l’histoire de la photographie de guerre peut s’avérer utile pour essayer de décrypter la situation actuelle.

Illustrant le sujet, une petite exposition rassemblant les images les plus intéressantes de l’hebdomadaire Le Miroir, magazine paru pendant la première guerre mondiale, a eu lieu cette année au palais de Tau à Reims. Cette exposition organisée par trois historiens (Jean-Jacques Becker, Philippe Buton et Joëlle Beurier), a remis en cause quelques idées reçues sur le traitement photographique de la « grande guerre ».

La Guerre de Crimée

Presque tout le monde semble s’accorder sur le fait que les premières photographies de guerre datent de 1855 durant le conflit opposant la Russie impériale à l’Empire Ottoman, conflit auquel les anglais et français s’étaient mêlés pour éviter que les russes ne prennent le contrôle du Moyen-Orient. Le premier des photographes commissionnés fut Roger Fenton, dont le profil était fort différent de celui d’un Robert Capa ou bien d’un Donald Mac Cullin.

Issu d’une famille de banquiers, Fenton avait suivi des cours de peinture dans sa jeunesse avant d’entrer en faculté de droit et de devenir avocat. Ce « gentleman » s’intéressa très tôt à la photographie, et créa en compagnie d’autres passionnés le « Photographic Club of London » en 1847 qui devint ensuite l’actuelle « Royal Photographic Society ». Il s’était fait remarquer pour quelques portraits de la reine Victoria et de la famille royale.  Il fut encouragé à partir en Crimée en 1855 par le prince Albert qui lui donna une lettre d’introduction et qui mit un navire de sa flotte à sa disposition pour le transporter ainsi que son assistant, ses deux aides, trois chevaux, une voiture lui servant de laboratoire, trente-six grandes caisses de matériel qui comprenaient entre autres cinq appareils photos et 700 plaques de verre ainsi que le matériel nécessaire à la sensibilisation des plaques au collodion humide et leur développement. Une véritable épopée !

Le prince entendait utiliser les images comme propagande pour la couronne britannique.  De fait, les quelques 360 images rapportées par Fenton montrent des troupes britanniques bien ordonnées, des groupes de soldats vivant dans de bonnes conditions, des ports organisés et bien fournis. Pas de photos sanglantes du front. Pas d’horreur sinon métaphorique comme dans cette image intitulée « La vallée de l’ombre de la mort ».

photographieBien évidemment, on peut mettre aussi en avant que les conditions techniques de l’époque interdisait de faire des images qui saisissaient des « moments décisifs ». Le collodion utilisé devait être préparé juste avant l’usage pour éviter qu’il ne sèche avant la prise. Les temps d’exposition, même sous un soleil ardent, étaient de 3 à 30 secondes. Mais ceci ne suffirait pas à expliquer le manque total d’implication du photographe dans le cœur de la guerre. Le statut social de Fenton et ses liens avec la famille royale donnent à croire qu’il s’agit aussi et surtout d’une prise de position idéologique ! Vous trouverez plus d'informations (en anglais) sur Fenton ici .

Quand Fenton déserta les lieux, le britannique d’origine italienne Felice Beato et son associé Roberston réalisèrent la couverture de la guerre de Crimée. Beato, d’un naturel beaucoup plus indépendant ou aventureux, en a fait des images plus dérangeantes, et s’est affirmé par la suite comme un véritable reporter de guerre. On lui doit entre autres des images de cadavres pendant la guerre de l’opium en Chine. Son approche plus directe de l’évènement et sa nature très téméraire en firent l’un des pionniers de la photographie de guerre moderne.

Cependant, le premier conflit couvert par des photographes présents sur les champs de bataille a été celui de la Guerre de Sécession, de la première défaite de l'Union à Bull Run en 1861, jusqu'à la reddition finale des forces confédérées à Appomattox en 1865. William Hoppin, à cette époque membre éminent de la Société Historique de New York, a pu dire que les milliers d'images qu'a laissées cette entreprise "étaient de loin les contributions les plus importantes à l'histoire illustrée de la guerre".

La Guerre de Sécession

Qui furent ces photographes qui allaient ainsi donner un témoignage sans précédent de plusieurs milliers de photographies d’un conflit armé ?

photographieUn nom vient immédiatement à l’oreille : Mathew Brady ! Avec une foi de visionnaire dans la photographie, et un sens des affaires sans pareil, il a vendu sous son nom la couverture photographique particulièrement volumineuse de ce conflit. En fait, on sait aujourd’hui qu’il agit comme organisateur, fournisseur, éditeur d’une vingtaine d’hommes qui travaillaient pour lui, parmi lesquels  Alexander Gardner et Timothy O'Sullivan, autrefois employés des studios de portraits Brady. Avec des appareils « mammoth plates = 18 ins x 22 ins et de 20 x 25cm, ainsi que des appareils stéréoscopiques, ces hommes ont photographié des ponts, des lignes de ravitaillement, des bivouacs, des camps, des soldats fatigués, excédés, blessés et morts, et à peu près tout sauf des batailles effectives. Que Brady ait tout vendu sous son nom n’enlève rien au crédit que l’on doit aux autres photographes précités.

L’étude serait bien plus incomplète si nous ne mentionnions pas l’apport de George Barnard qui a accompagné le général nordiste William Sherman en 1864 et 1865. Des paysages vides, des arbres atrophiés, des clairières saignées montrent l’intensité des événements qui s’y étaient déroulés.

La Commune de Paris (1871)

photographieN’oublions surtout pas la commune de Paris, où pour la première fois la photographie, jugée alors irréfutable, a été utilisée par la police à des fins répressives allant jusqu’à l’exécution de communards. Parallèlement, en 1871, face au succès rencontré auprès d’un public croissant de quelques photos de communards, le gouvernement exerça une censure radicale sous prétexte qu’elles pouvaient pousser à l’émeute et menacer l’ordre public.

Cette étude de la photographie des guerres du XIXième siècle ne prétend pas être exhaustive. D’autres conflits ont été traités par des photographes avant la première guerre mondiale : la guerre du Pacifique par Carlos Díaz Escudero; la guerre des Boers en Afrique du Sud; la révolution mexicaine par les frères Casasola; la guerre américano-espagnole à Cuba par Jimmy Hare, autant d’exemples marquants qui ont donné en cette fin de XIXème siècle les fondations d’une photographie de plus en plus au fait de l’événement.

Puis on arrive à la « grande guerre » de 14-18…

photographieLes autorités militaires des camps opposés et les hommes politiques qui les ont conduits à ce conflit avaient parfaitement compris que la photographie pouvait jouer un rôle déterminant sur le moral des troupes et aussi auprès de toutes celles et ceux qui voyaient leurs maris, enfants, frères partir s’enterrer dans des tranchées pour y perdre leur vie ou leurs bras ! Jimmy Hare par exemple, malgré (ou du fait de) son expérience et de ses qualités de reporter, ne fut pas autorisé à venir se mêler aux troupes. Du coté des alliés, l’un des seuls photographes à avoir été admis de manière officielle fut un certain Jean-Baptiste Tournassoud, militaire lui aussi, qui a mis son art au service d’une idéologie : culte de l’armée, puissance et rayonnement de la France, culte de la terre et des traditions rurales, et une certaines mystique religieuse ainsi que le culte de la mort… héroïque bien évidemment ! 

Est-ce que ceci signifie que la grande guerre n’a pas été photographiée dans ses autres aspects ? L’exposition du palais de Tau à Reims a eu le mérite de mettre en valeur le fait que des images beaucoup moins « patriotiques », montrant les souffrances vécues dans les tranchées avec des images fortes qui ont été publiées à l’époque. Maintenant que les appareils photos étaient beaucoup plus accessibles (pensons au fameux Kodak de Georges Eastman qui avait obtenu un grand succès dès sa mise en vente en 1888), les mêmes gradés qui étaient dans les tranchées ont rapporté des images exprimant les horreurs de cette guerre qui aurait dû être la « der des ders ». Parmi ces amateurs photographes, on retrouve par exemple Andre Kertész (1894-1987), et Joseph Sudek (1896-1976) de Prague qui bien qu’ayant perdu un bras lors d’un tir de sa propre artillerie, a réalisé trois albums de photos dont certaines sont d’une grande qualité graphique et informative.

Vous pourrez trouver de nombreuses photos de la « grande guerre », à cette adresse : http://herve.loridant.9online.fr/

photographieLors de la prochaine chronique, nous nous étendrons sur la photographie des guerres postérieures jusqu’à la première Guerre du Golfe. Peut-être comprendrons nous mieux le désarroi et l’incrédulité de la profession face à la « gestion organisée de l’information de guerre »  qui règne sur les champs de bataille aujourd’hui. D’ici là, n’hésitez pas à me faire parvenir vos opinions, des documents, des liens, des suggestions.

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Chronique par Alain RIO
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