De la deuxième guerre mondiale à la première guerre du Golfe.
Par : Alain Rio
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Dans les deux volets antérieurs, nous avons tenté de résumer comment est née la photographie moderne de guerre. Si la guerre civile espagnole marque un point de départ d’une nouvelle approche photographique qui connaît malheureusement un certain faste avec son apogée avec les guerres du Vietnam et du Biafra, la guerre du Golfe (1990-91) sonne le glas d’un mouvement qui a mis en exergue le défi lancé aux autorités par un certain nombre de photographes et de magazines les publiant ainsi et qui reflète la volonté évidente et courageuse de montrer au monde les horreurs de la ou des civilisations modernes.
Si la raison en était la fin des conflits et de l’état de misère du monde, on ne pourrait que se réjouir de cette constatation, mais tout tend à faire penser que les phénomènes de censure politique et aussi des grandes entreprises expliquent que le photographe de guerre se heurte à un obstacle supplémentaire à ceux qu’ils rencontraient auparavant : Qui publiera ses photos ?
Résumer la période que je me propose d’étudier dans cette modeste chronique est une tâche titanesque par le nombre des conflits et de photographes de renom les ayant couverts.
Pour ne citer que quelques conflits majeurs : La deuxième guerre mondiale (1939-45), la guerre de Corée (1950, guerre d’Algérie (1954-62), les deux guerres du Vietnam (française et Américaine de 1954 à 1973), Guerre du Biafra (1967-1970), les guerres du Liban, les guerres israélo-arabes, israélo-palestiniennes, la guerre entre l’Irak et l’Iran (1980-88), Les Malouines (1982) etc…
Et quelques uns des photographes qui ont mis ou mettent leur vie en péril pour, entre autres, informer le monde d’une réalité qu’il aimerait passer sous silence : Bill Brandt (1904 – 1983), Sir Cecil Walter Hardy Beaton (1904 – 1980), Robert Capa (1913 – 1954), Larry Burrows (1926 – 1971), Donald McCullin (1935 - ), Philip Jones Griffiths (1936 - ), Henri Huet (1927 – 1971), George Rodger (1908 – 1995), Joe Rosenthal (1911 – 2006), James Natchwey (1948 - ).
Ces listes ne sont bien évidemment pas exhaustives. Des centaines de photographes se sont chargés au cours de la période étudiée de couvrir conflits et désastres. Certains ne sont jamais mentionnés, pour la simple raison qu’ils n’ont pas eu le temps de vivre suffisamment de temps pour s’imposer dans le monde de la photographie. D’autres n’ont pas supporté le poids des missions pour lesquelles ils étaient dépêchés.
Si le public les perçoit parfois comme des “aventuriers” sans foi ni loi, qui ne respectent pas plus les morts que les vivants, ou à l’opposé comme des héros, ces héros des temps modernes qui bravent les bombes pour INFORMER le monde, les réalités individuelles des intéressés sont souvent beaucoup plus complexes. Il serait hasardeux et peut-être hors contexte de vouloir dresser un profil psychologique ou de personnalité, même individuellement, des photographes qui choisissent les champs de bataille pour exprimer leur art, mais je crois que le cas Don MCCULLIN est révélateur d’une certaine complexité difficile à appréhender, même si beaucoup a été écrit ou dit à son sujet. Je vous invite par ailleurs à lire l’interview qu’il a accordée à la BBC (http://www.bbc.co.uk/radio3/johntusainterview/mccullin_transcript.shtml ).
Aussi, comment ne pas citer le film documentaire “War photographer” (2001) réalisé par Christian Frei, film qui force l’interrogation et qui met en exergue un choix éthique et finalement un combat assez optimiste de celui qui est considéré comme une légende vivante : James Natchwey?
Le cas de la guerre du Vietnam.
Au-delà de ces considérations, je crois qu’il est intéressant de tenter de comprendre comment la guerre du Vietnam, sa médiatisation, le traumatisme et les effets politiques que les images rapportées ont créées peuvent expliquer en partie la méfiance qu’ont les militaires et les gouvernements impliqués dans les conflits depuis lors à l’égard de la profession.
Beaucoup d’entre nous ont en mémoire la photographie de la jeune Phan Th? Kim Phúc, 9 ans, prise sur la route de Trang Bang en 1972, alors que l'enfant fuyait nue une zone bombardée au napalm et qui rapporta à son auteur Nick Ut de Associated Press, le prix Pulitzer. Celle-ci, ajoutée aux nombreuses photos publiées dans le Times et d’autres magazines de très large diffusion, prises par des photographes qui avaient à l’époque carte blanche pour suivre les troupes américaines dans le conflit et son enlisement, ont fait que l’opinion publique américaine s’est mise à douter majoritairement de l’engagement américain dans cette zone géographique. Finalement, le parti de la génération de la « prise de conscience » (consciousness generation), par son activisme et la répercussion qu’il a eu dans toutes les couches de la société américaine, a forcé les pouvoirs publics à se désengager du Vietnam.
Dès lors, le photographe de guerre n’a plus été perçu comme un accompagnant obligé et bienvenu à partager la vie des soldats, mais comme un élément à museler, un être aussi hostile que malintentionné, qu’il fallait mettre sous la coupe des forces armées, de manière à donner une image convenable des conflits…. Voyez donc un exemple grotesque : pendant la guerre de Malouines, Donald McCullin, photographe chevronné de reconnaissance internationale aux multiples publications, qui suivait tous les conflits depuis la guerre de Suez de 1956, s’est vu refuser l’accès aux embarcations qui conduisaient les troupes britanniques à la guerre contre les argentins.
La guerre du Golfe de 1990-91 – Un simulacre d’information au profit d’une propagande pro-américaine
Michel Guerrin dans un article intitulé « En concurrence avec les reporters de la télévision Les francs-tireurs de la photo face à la censure » paru dans l’édition du « Monde » du 20.02.91, tirait la sonnette d’alarme sur les pratiques de l’armée américaine à l’égard de l’information. Je cite : « Concurrence inégale de la télévision, peu d'images à se mettre sous la dent, un contrôle et une censure de tous les instants, la photographie de guerre, genre majeur s'il en est, n'est-elle pas en train de perdre son prestige d'antan ? Actuellement, comme l'explique Robert Pledge, directeur de l'agence Contact, "des photos, on en voit beaucoup, mais elles ne nous disent rien sur ce qui se passe ».
Les gouvernements impliqués veulent dès lors faire croire à qui veut l’entendre qu’ils mènent « une guerre propre » qui ne heurte pas leur opinion publique, et n’acceptent pas non plus que des images photos ou vidéos puissent donner des indications aux ennemis. Ils s’emploient à museler les journalistes et photographes, organisant par exemple des sorties organisées pour les reporters, où, comme par hasard, les soldats ennemis se voient bien traités et bien habillés… Qui veut le croire ?
Un autre facteur tout aussi déterminant et plus récent qui risque de mettre fin à la photographie de guerre : les pressions économiques.
Les journaux, hebdomadaires et magazines ne vivant plus aujourd’hui des ressources de la vente des tirages, mais des recettes publicitaires, il est difficile d’imaginer qu’un annonceur de prestige accepte de confronter sa publicité à des images insoutenables qui finalement jetteraient un doute sur la pérennité de son nom ou de sa marque. Imaginez une publicité Louis Vuiton accompagnant des images de famine… Ca fait mauvais genre, n’est-ce pas ? Bien évidemment, quand l’argent parle, les autres arguments ne suffisent pas à convaincre les éditeurs….
Pour conclure ces chroniques sur la photographie de guerre, je reprendrai quelques arguments tirés du film cité plus haut :
- Le monde n’est pas plus beau et pacifique aujourd’hui qu’il ne l’était il y a trente ans. Il a même largement empiré.
- Les photographes de guerre gênent les gouvernements et les militaires certes. Ils doivent cependant être soutenus dans l’exercice de leur profession pour rappeler ce type de réalité à un public qui vit souvent dans l’illusion de la société de divertissement. La prise de conscience de ce qu’est le monde et du sort que nos sociétés dites modernes réservent à des millions d’êtres humains est une condition indispensable pour le progrès.
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Références des illustrations :
Visuel 1 : Couverture du livre Henri Huet - J'étais photographe de guerre au Viêtnam - Texte de Horst Faas - Hélène Gédouin
Visuel 2 : Couverture du livre L'effroyable guerre du Biafra - Texte de Rémy Boutet - Collection Afrique contemporaine
Visuel 3 : Couverture du livre Don Mc Cullin - Unreasonable Behaviour - An autobiography de Don Mc Cullin
Visuel 4 : Couverture du livre Vietnam de Larry Burrow
Visuel 5 : Affiche du film War photographer - James Nachtwey réalisé par Christian Frei
Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique :
Chronique par Alain RIO
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