Quelques festivals de l'été
Par Bruno Chalifour
L’été commença cette année, une année impaire, avec, du 28 mai au 5 juillet, le 10ième Photo España à Madrid [ www.phedigital.com ]. Le but de Photo España est de montrer l’élite de la photographie contemporaine dans toute sa variété, en général autour d’un thème choisi – mais ce ne fut pas vraiment le cas cette année… pour ce qui est d’un thème général. Quant à montrer la photographie contemporaine, depuis 10 ans c’est ce que le festival fait, reprenant les recettes élaborées par Les Rencontres d’Arles, Le Mois de la Photo à Paris, et Fotofest à Houston, TX (du 7 mars au 20 avril en 2008 avec pour thème la Chine – www.fotofest.org ).
Début juillet, Photo España s’achevait et les Rencontres d’Arles commençaient [ www.rencontres-arles.com ].
Les 37ièmes Rencontres d’Arles.
Depuis 37 ans maintenant les Rencontres sont un lieu annuel de… rencontre des photographes du monde, que ce soit aujourd’hui au sein du festival officiel dirigé depuis 6 ans par les deux François (Barré et Hébel), ou du festival off [ www.voiesoff.com ] fondé, dès avant sa sortie de l’Ecole Nationale (à présent « Supérieure ») de Photographie d’Arles, par Christophe Laloi. Sachant que l’école est une des nombreuses et heureuses conséquences du festival pour la ville d’Arles, Voies Off, malgré le vent de défense du territoire qui souffle entre off et off-iciel, se comporte en idéal complément des Rencontres, assurant un pont entre les amateurs et les professionnels. Le festival officiel se charge des officiels, qu’ils soient photographes, politiques, ou institutionnels. Le Off, quant à lui, se focalise sur les espoirs ou les laissés-pour-comptes de la (en général) jeune photographie internationale contemporaine. En tout cas des centaines d’images à voir soit accrochées aux cimaises, soient projetées au Théâtre Antique (officiel) ou dans la cours de l’archevêché (Off).
Si vers la fin des années 1990, les Rencontres étaient à la recherche d’un nouveau souffle, voyaient leur public se réduire, les années 2000 sont le théâtre de leur résurrection et essor. Les attentes et les financements changeaient. Il fallait une approche nouvelle qui conserve les réussites accumulées et tire les leçons des problèmes rencontrés. Le choix a été de ratisser large, de prendre quelques risques tout en offrant des valeurs confirmées (le retour en force de Magnum entrant tout à fait, et avec succès, dans le deuxième volet de cette stratégie). Les choix proposés se sont multipliés : expositions, projections bien sûr mais aussi prix des Rencontres (nous y reviendrons), colloque d’universitaires et spécialistes, tables rondes, spectacles (Lou Reed cette année), conférences, stages, fête populaire d’images (la Nuit de la Roquette), stage/colloque pour public enseignant, lectures de portfolios payantes (depuis 2006). Les Rencontres ont aussi invité, permis ou laissé se greffer d’autres évènements : une conférence de presse maintenant régulière de Magnum, le Prix européen des éditeurs, le Prix Oskar Barnack (Leica), le(s) prix du livre, diverses conférences de presse d’annonce de membres du monde de la photographie (galeries, festivals, éditeurs, magazines, etc…), un marché aux livres photo de collection, le sponsoring très actif de Hewlett Packard.
[HP dans sa course au marché des imprimantes à jets d’encre, essentiellement derrière Epson, a même conclu un accord avec Magnum et c’est ainsi qu’à CONTACT (www.contactphoto.com ), le festival photo annuel de Toronto (Canada) en mai, et qu’à Arles, HP avait à chaque fois invité 3 photographes (différents) de Magnum qui présentèrent leur travaux. Cerise sur le gâteau à Arles cette année, HP avait aussi invité Henry Wilhem (www.wilhelm-research.com), le gourou américain de la conservation des supports argentiques et numériques, des films aux papiers photographiques, en passant par les papiers et encres destinés aux tirages numériques, évolution oblige.]
Les thèmes principaux retenus pour les Rencontres d’Arles cette année étaient : la nouvelle photographie chinoise, l’Inde (entre collection ancienne et une photographie contemporaine), les 60 ans de Magnum, les collections privées, et le nouveau prix des Rencontres (25 000 €). S’il y a un temps privilégié où se rendre à Arles dans la durée du festival (3 juillet-16 septembre), c’est la semaine d’ouverture :
- les photographes exposants et commissaires invités sont présents et participent à des visites organisées de leurs expositions,
- durant au moins 4 soirées des projections ont lieu au Théâtre Antique,
- les stages commencent (dont le mien qui se sert de cette première semaine des Rencontres comme matière première pour une approche discutée de l’histoire de la photographie, y compris de la photographie contemporaine, et bien sûr des œuvres exposées ou projetées),
- la nuit de la Roquette, une déambulation populaire dans le quartier semi-piéton de la Roquette parsemé d’écrans de projection,
- le colloque : cette année, « enjeux et mues du marché de la photographie »,
- le marché du livre photographique ancien,
- la revue de portfolio (250 € par participant),
- les signatures de livres,
- les débats à l’espace Fanton,
- et bien évidemment Voies Off, qui s’ouvre et se clôt avec la semaine d’ouverture du festival officiel.
Quelques commentaires :
Sans aucun doute les Rencontres d’Arles ont su se maintenir et même s’affirmer comme la plus grande messe photographique au monde. Avec 56 000 visiteurs en 2006, soit près de 50% d’augmentation sur 2005, les Rencontres 2007 voyaient déjà leur taux d’audience en hausse à l’issue de la semaine d’ouverture. Les raisons de ce statut combinent un lieu exemplaire et irremplaçable, une volonté politique locale ferme et visionnaire en écho total avec l’approche du bureau des Rencontres, une volonté œcuménique de ce même bureau dont la tête de pont en est le directeur artistique lui-même, François Hébel totalement soutenu par le président des Rencontres, François Barré, une histoire de 37 ans, une participation générale publique et des sponsors privés fidèles et attachés au festival. Dans la foulée des Rencontres, et après l’institutionnalisation de l’école de la photographie, on entrevoit même la première ébauche de création d’un pôle européen de l’image à Arles. Donc, « globalement », un franc succès.
Cependant toutes les grosses machines ont leurs couacs. Et pourtant, cette année, l’essai de l’année dernière (un couac pour certains dont je n’étais pas alors) a plutôt été transformé. Les revues de portfolio payantes ont souvent révélé ou parfois confirmé des travaux fort intéressants. Grâce à HP et Photo Service, ces travaux, qui autrement seraient passés totalement inaperçus du public, étaient même partiellement exposés dans une des salles du cloître St Trophime.
Les couacs : Inde, photographie « vernaculaire », le prix Découverte
Il était sans conteste important de célébrer en photographies le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Inde. Une telle initiative ne pouvait assurément que compléter la programmation chinoise soulignant l’ouverture du festival à des photographies autres qu’occidentales. Le fait que Magnum fête également son soixantième anniversaire, quand on connaît les liens de Cartier-Bresson avec l’histoire de ce pays, et quand on voit exposé l’excellent travail de Raghu Rai, invite à cette présence de la photographie indienne en 2007. Il semblait donc justifié, de la part du bureau des Rencontres de donner un feu vert à la proposition d’Alain Willaume, photographe lui-même, d’une exposition de photographes d’Inde. Malheureusement on ne peut impunément se lancer dans une telle aventure, et surtout la présenter en des termes excédant les ambitions originales du travail de Willaume telles qu’ils les avaient énoncées dans le livre publié par le même Alain Willaume (India Now). Willaume, et quelque part les Rencontres en ont fait les frais–encore que, soit dit en passant, on ne peut rêver de meilleure promotion pour un livre que l’on vient de publier. Enthousiasme sincère certain, esprit promotionnel que l’on ne peut nier (car ici l’éthique nécessaire d’un commissaire d’exposition tique !), présentation maladroite de l’exposition lors des Rencontres tentant de lui redonner une légitimité qu’elle n’a pas, voici l’état du pétrin dans lequel Alain Willaume s’est fourré. Bien sûr, tout le monde ne partagera pas cet avis et je vais donc donner quelques exemples. Les expositions montrées ne sont pas un panorama de la production indienne contemporaine ; tout juste un échantillonnage comme cela est tout à fait précisé dans le livre. Il n’y a pas d’épaisseur, ni de contextualisation des travaux présentés. Pour un très vaste pays dont la production visuelle (cinématographique entre autre) est sans doute la deuxième au monde en quantité, certains travaux présentés comme art photographique sont immatures et relèvent plus de l’apprentissage, l’essai, ou l’expérimentation que de la maîtrise. Comment s’exprimer clairement et avec justesse, comment communiquer quand on ne maîtrise pas l’outil, le langage ? Heureusement pour cela il y avait quand même le regard poétique de Sunil Gupta, les reportages décalés de Pablo Bartholomew, et Bharat Sikka. Mais que dire des photographies de famille de la mère de Sunil Gupta, Nony Singh, sinon que c’étaient d’excellentes photographies de famille mais quelque peu hors contexte quant au sens et contenu du reste de l’exposition–gentilles–des images que l’on n’aurait sans aucun doute jamais vues si Nony n’avait été la mère de Sunil. Beaucoup de relations incestueuses dans cette exposition donc, beaucoup de complaisance aussi, une complaisance que l’on a aussi vu ailleurs dans ces Rencontres.
Deuxième couac pour votre serviteur, la deuxième ré-itération de l’ « œuvre » quelque peu iconoclaste d’un Eric Kessels. Certes ses pillages de la mémoire photographique d’inconnus, innocents, et surtout non célèbres ou riches ou puissants (qui pourraient alors porter le cas Kessels devant les tribunaux pour atteinte à la vie privée ou au droit d’auteur. Soyons clairs ici, en fait, qui, des amateurs de Kessels, aimerait retrouver dans les collections du sieur, sur les écrans ou les murs d’Arles, les fragments de sa vie privée, et ce, à son total insu ?) ont pu amuser, divertir. Une fois, passe ; encore que l’on puisse déjà trouver les rires entendus il y a quelques années au théâtre antique navrants, et encore plus navrante l’irresponsabilité du « collectionneur » qui les génère en exposant la vie privée des autres, de simples gens, égalant en cela une certaine presse. Mais trois fois en trois ans, avec cette année une sorte de consécration, sacralisation à l’église des Frères Prêcheurs, cela peut être quelque peu déroutant, sinon problématique quand on sait le nombre d’excellents travaux que cela exclut, le nombre d’excellents photographes qui sont ici laissés pour compte, trahis en somme. Qui ne connaît quelqu’un, un faiseur d’images dont le travail aurait amplement mérité un tel lieu, un tel festival ? Cela fait quelques années que se dessine ce que j’appellerais une dynamique de la « médiocratie » où surnagent des travaux médiocres, des pensées médiocres (cela ne s’applique pas à Kessels), des performances médiocres–une dynamique surtout à l’honneur sur la plupart des télévisions privées, européennes ou américaines, dans la presse écrite où on essaie de conserver une audience en visant le plus grand dénominateur commun, sacrifiant la qualité, facilitant le facile, le meilleur rapport qualité/prix (ce qui ne peut fonctionner qu’à court terme). Il me semble qu’une des qualités et spécificités de la culture française, de la lutte contre les OGMs, à la méfiance envers Coca Cola, ou Mac Donald, a souvent été une résistance traditionnelle à la médiocratie, en dépit des Transe Dimanche et Ici Pourri, en dépit du Loft. Sachons nous en souvenir.
Troisième couac, et non des moindres, mais là aussi la responsabilité des Rencontres est loin d’être entière. Elle est en fait une des conséquences d’un festival d’ampleur internationale qu’il faut réaliser en moins d’un an, ce qui implique donc de déléguer et de faire confiance aux gens à qui l’on délègue. Les prix des Rencontres sont passés cette année de trois en 2006 à un unique prix de 25 000 € décerné donc à un seul lauréat–une somme et une reconnaissance non négligeables. Le principe est simple : cinq « nominateurs » proposent trois photographes, chacun, aux votes du public professionnel présent à la semaine des Rencontres. Cette année les cinq nominateurs étaient Bice Curiger (Suisse), Alain Fleischer (France), Johan Sjöström (Suède), Anne Wilkes-Tucker (USA), Thomas Weski (Allemagne). Très vite il devient évident que les trois « nominés » par Alain Fleischer, directeur de l’école du Fresnoy à Tourcoin, s’avèrent être trois élèves de la dite école, alors que ses collaborateurs-nominateurs au prix présentent des photographes d’horizons divers, souvent cependant limités à leur territoire national. Il me semble que le prix « Découverte » a cela d’intéressant qu’il oblige les nominateurs à être aussi des découvreurs, et qu’il permet au public de découvrir des œuvres conséquentes mais méconnues. Questionné sur cette curieuse particularité de ses choix, que l’on pouvait suspecter d’être un coup d’auto-promotion, ou du moins dont on pouvait questionner la déontologie sinon l’éthique, Fleischer répondit très directement et honnêtement qu’il était devenu un administrateur et qu’il n’avait pas le temps de se tenir au courant de la création contemporaine, qu’il avait donc choisi parmi ceux qu’ils connaissait, ces anciens élèves. Pourquoi à ce moment, étant donnée la situation, ne pas avoir eu le courage, ou l’intégrité de refuser le rôle de nominateur ? Camaraderie, soutien aux Rencontres, flagornerie, désir d’utiliser les Rencontres à des fins de promotion de son école, et de ses anciens élèves, un service après vente en somme devenant aussi une vitrine publicitaire ?
L’ironie du sort a voulu qu’une des photographes proposées par Alain Fleischer soit choisie par le public professionnel comme lauréate. Laura Henno présentait « le mystère du hors-champ : des adolescents sont immobilisés par quelque chose qui nous échappe, dans des atmosphères mystérieuses » (catalogue). En fait des adolescents plantés dans un décor, soit intime (quant à appeler un simple lit [matelas+draps+mur uni en fond] « mystérieux », hmmm….) soit naturel sur photographies couleur grand format. Valérie Jouve nous donnait cela il y a quelques douze années. Depuis, il n’y a pas une promotion d’élèves d’écoles photographiques, des deux côtés de l’Atlantique qui ne nous serve au moins une fois ce plat réchauffé. Afin d’éviter toute ambiguïté et de donner une chance à la lauréate d’un prix international de 25 000 € de présenter son approche du médium, il lui fut demandé ce qu’elle pensait du genre qu’elle pouvait décliner, ce qui la poussait à réaliser de telles photographie en 2007 et de les soumettre à ce prestigieux (et lucratif) prix. Là aussi, la réponse fut simple, honnête, et directe : « Je ne sais pas… ». Que dire, sinon que la responsabilité finale de ce couac a été amplement partagée par tous les rouages qui tour à tour n’ont pas su faire face à leurs responsabilités.
Tout ceci n’est certes qu’une opinion mais quand on a vu, par exemple, une œuvre, le produit d’une démarche originale de plusieurs années, telle que celle de Joseph Mills, au cours de la même compétition, à côté de celle de Laura Henno, on ne peut malheureusement que hausser les épaules en s’éloignant. Cependant, en un cas pareil, la première réaction salutaire (et professionnelle) d’un critique est de se remettre en question souvent, et de travailler. Ce que j’ai donc fait, quelque peu ébranlé par cette expérience. Résultats : Joe Mills était sélectionné par l’une des plus sérieuses, compétentes, et capables spécialistes du monde de la photographie internationale, Anne Wilkes-Tucker (du musée des Beaux-Arts de Houston à qui elle a, entre autres fait acquérir l’intégralité des Américains de Robert Frank et récemment la collection Manfred Heiting). J’ai aussi découvert que Mills avait été et allait être à nouveau publié par Nazraeli Press – ceux qui connaissent l’édition photographique savent la qualité et le sérieux du travail de cet éditeur. Le travail de Mills présente un contenu original et esthétique, dans une forme originale et esthétique. Il est le résultat d’une longue et précise démarche extrêmement personnelle. Il nous initie à son monde qui découle de sa conscience de, et d’une prise de position sur notre monde. Que propose le plus grand nombre du « jury des professionnels » comme exemple de l’excellence actuelle en création photographique ? La série de Laura Henno ? Qui, d’ailleurs, est la moins responsable de tous les participants de ce fiasco. Serait-ce un autre exemple de la « médiocratie » rampante, facile, peu critique, de masse qui semble être le résultat d’un niveau d’attente similaire à celui qui cautionne TF1 ou l’empire de Rupert Murdoch, ou de Berlusconi ? Un signe des temps ? L’avenir de Laura Henno apportera peut-être une réponse ; l’œuvre de Mills par contre parle .
Je tiens ici cependant à rassurer le lecteur. Les Rencontres d’Arles, c’était cette année encore 50 expositions, des projections, des rencontres, des discussions, Voies Off (Christophe Laloi comprendra cette association légitime), Magnum, Raghu Rai (oui, je sais, c’est aussi Magnum !... mais c’est aussi l’Inde, et c’est surtout Raghu Rai), Noni Singh, la collection Alkazi, les découvertes des autres prix et des lectures de portfolio. Plus d’images qu’on a de temps pour les voir. Une expérience toujours irremplaçable tant pour les photographes que les autres acteurs et spectateurs de la photographie ! [Pour anecdote : j’avais écris « spectatueurs », glissement de clavier ? Lapsus ? ;o) …ou tout simplement introduction du dernier chapitre de ce tour des festivals estivaux? ]
Rhubarb-Rhubarb
Rhubarb-Rhubarb est un festival photographique récent né au cœur de l’Angleterre, d’une Angleterre au passé industriel lourd mais passé, à Birmingham. Avec un budget mixte où l’Arts Council (fonds publics) joue un rôle prépondérant il propose essentiellement une revue de portfolio (payante elle-aussi, comme à Photo España et Fotofest). L’ambiance y est amicale, sérieuse et décontractée. Rhubarb-Rhubarb avait investi cette année un nouveau bâtiment avec l’ambition d’en faire un lieu photographique permanent. Les participants lecteurs de portfolios sont internationaux, les participants photographes sont, à une légère majorité, britanniques. A suivre donc. www.rhubarb-rhubarb.net
Le Mois de la Photo à Montréal.
Contexte :
Tous les deux ans depuis vingt ans, Montréal propose son Mois de la Photographie ( www.moisdelaphoto.com ). Pendant longtemps cette manifestation a été la seule manifestation de dimension internationale au Canada. Cela a toujours été également–le Canada joue aussi à fond la carte de « l’exception culturelle » face à la production carnivore et fratricide de son voisin–une vitrine de la production photographique canadienne. Jusqu’à il y a quelques années, Contact, qui se déroule tous les mois de mai à Toronto, se focalisait sur la production ontarienne (région de Toronto)–peu, très peu de québécois. Contact a maintenant pris une dimension internationale et va sérieusement concurrencer Montréal si ce que l’on y voit cette année se répète. La seule alternative, en ce qui concerne les festivals internationaux de photographie, se trouvait à des milliers de kilomètres, au Texas, avec le Fotofest de Houston. Il y a sept ans, une réflexion sur l’avenir du festival a conduit à confier l’ensemble du festival à un commissaire d’exposition choisi sur un projet présenté au bureau du Mois de la Photo. Jusque là, l’heureux/se élu(e) a toujours appartenu au monde universitaire montréalais, y compris pour l’actuel festival. La question que pose le dixième Mois de la Photo (2007) est celle de la consanguinité et des chromosomes récessifs. De combien de commissaires d’expositions photographiques compétents, de dimension internationale, recèle l’éprouvette montréalaise ?
Après Vincent Lavoie (2003 : « Maintenant/Now ») et Martha Langford (2005 : « Image & Imagination »), 2007 consacre le projet de Marie Fraser : « Explorations Narratives / Replaying Narratives. ». On peut d’entrée de jeu constater le décalage de sens entre le titre français et sa traduction anglaise–et ce n’est pas le chat flou pris au flash avec un appareil compact sur fond de pelouse nocturne qui sert d’affiche au festival qui me contredira. Décalé donc, le Mois de la Photo 2007 questionne, il n’y a aucun doute. Le plus gros de ce questionnement semble cependant se résumer à ces questions : jusqu’où peut-on aller dans la liberté accordée à un commissaire général d’expositions dans la réalisation de son projet, sans trahir le projet, mais sans trahir le festival (et son public) qui lui a accordé sa confiance ? Jusqu’où peut-on aller dans un festival à priori consacré à un medium spécifique dans l’ignorance de ce medium ?
En résumé, le Mois de la Photo 2007 présente environ plus 80% de vidéo.
Le thème de la narrativité en photographie est un thème important et délicat. Considéré prosaïquement, il est en effet difficile de raconter une histoire en une seule image. La narration implique dans la grande majorité des cas, un déroulement dans le temps. Hors le cliché photographique individuel a un pouvoir d’abstraction considérable non seulement quand on considèrent les sens autres que celui de la vue, la profondeur de l’espace, mais aussi quand on aborde des notion de temps : il les gomme, les symbolise parfois. Le temps, la durée surtout, sont des notions ardues dans le cliché unique. Il arrive, par voie de conséquence, que des photographes aient recours à des séquences (groupes d’images avec un lien linéaire basé sur le temps, l’espace, ou le sens) ou des séries (groupes d’images formant un tout porteur de sens, organisés de façon non linéaire, et dont le sens global est supérieur à la somme des sens particuliers de chaque image). Avec la disparition de nombreux grands magazines de reportage publiant des essais photographiques, l’arrivée d’un certain journalisme (ex. : Magnum) sur le marché de l’art, la pression du marché lui-même pour la production et la vente d’œuvre unique, la narration photographique semble s’être réfugiée au fond de la classe, près du radiateur. La question de la narrativité en photographie est originale au vu de l’activité photographique et permet de se focaliser sur un réel domaine problématique du medium photographique. Mais…, à partir du moment où l’on se saisit d’une caméra vidéo, on évacue presque complètement cette problématique, celle liée à la durée, ou plutôt à l’absence de flux, de durée en photographie, à moins de se servir peut-être de l’outil vidéo avec une approche photographique, en décomposant le message vidéo, le flux constant d’images en flux saccadé, pour le spectateur, d’images fixes. Il n’en est malheureusement rien à Montréal. Le public a uniquement droit à s’asseoir, audience captive, devant des vidéos pseudo-expérimentales souvent, aux qualités techniques rudimentaires parfois, accompagnées de bandes sonores qui, pour éviter les droits d’auteur, ressemblent souvent à des distorsions de circulation de rames de métro. Il y a sûrement des amateurs pour de telles « expériences esthétiques » [tout est dans tout et réciproquement], à commencer par la commissaire générale du Mois dont je ne remets absolument pas en cause la bonne foi. Les amateurs de photographie, et les critiques en photographie qui, pour être compétents, se doivent de se spécialiser car le monde est vaste et la tache (celles de résister à l’aplatissement général, la « médiocratie » rampante que je signalais plus haut) est infinie, en resteront sur leur faim. Deux ans d’attente donc, couronnés par deux autres années jusqu’au mois de la Photo 2009 après ce Mois de la…Vidéo 2007. Quelques adresses pour les amateurs de photographies cependant : les photographies d’Eric Baudelaire à la Maison de la Culture de Frontenac ; Carlos et Jason Sanchez, Trine Sondergaard et Nicolai Howalt à la Parisian Laundry, Shao Yinong et Muchen à la maison de la culture de Côte-des-Neiges du 6 septembre au 21 octobre. En dehors de ces travaux à la hauteur des ambitions du Mois de la Photo (4 sur 37 exposants), le reste consiste essentiellement en des vidéos ou des images tirées de vidéo. Bon courage !
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Bruno Chalifour