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Israël ou Le paradoxe du desert

 

Le paradoxe du désert ou quand une terre aride devient nourricière

Texte et photos par Mélanie Rouffet

Le bus qui fait la liaison entre Tel Aviv et Eilat, station balnéaire branchée du sud de l'Israel se range brutalement sur le bas coté. « Ein Yahav !» nous crie le chauffeur. Après 4 heures de route, le désert de l'Arava, nous tend ses bras du bout du monde loin de la foule d’une Tel Aviv ultra moderne. Et pourtant, c’est au cœur de cette zone sèche et aride, que nous allons à la rencontre des agriculteurs les plus prospères d’Israël.

Après l'indépendance d'Israël en 1948 et l'immigration massive qui a suivi, le nombre de communautés agricoles s’est rapidement multiplié. L'agriculture étant un des principaux piliers sur lesquels l'Etat d'Israel s’est construit, un grand nombre d'immigrants sont alors dirigés vers des petites communautés rurales, véritables villages coopératifs agricoles appelés les moshavim. C’est dans ces communautés que naît le paradoxe le plus inouï : peupler et se nourrir du désert.

60 ans plus tard il n’est plus question de survie dans cette zone qui jouit d'un luxe et d'un profit sans précédent dans l'Histoire de l'agriculture dans le désert.

C’est à Ein Yahav, un moshav de 500 habitants à la frontière Jordanienne, que nous avons pu saisir ce que l'expression « greening the desert » signifiait.
Dans le village, seule la chaleur étouffante nous écrase en nous rappelant que nous sommes dans le désert mais les yeux ne se promènent pas dans un univers nu et aride; ici les rues quadrillées, les longues avenues bordées de palmiers, les jardins fleuris et les belles villas de plein pied, nous plongent dans la nouvelle Californie, version Israelienne.

L'Arava, une agriculture en milieu désertique la plus avancée du monde.

« Bien que dans cette région, les précipitations ne dépassent pas 5 cm par an, 460 agriculteurs produisent 60% des légumes Israéliens. Près de 70% des tomates cerises, poivrons, dattes, melons cultivés ici sont destinés au marché national, le reste part pour l'exportation vers L'Europe, les Etats Unis, et bientôt le Japon ... » nous confie Boaz, un agriculteur propriétaire de 5 hectares de terres agricoles qui nous reçoit dans le confort ultra climatisé de sa villa.
Alors d’où vient cette prosperité ? Pour faire face aux conditions climatiques défavorables et aux ressources en eau de plus en plus rares, les agriculteurs de la région ont investi, avec le soutien du gouvernement, dans le développement de techniques agricoles de haute technologie. « Nous privilégions depuis 1997 l'irrigation au goutte à goutte qui nous permet d'économiser l'eau ». Dans un contexte où les faibles ressources en eau sont un enjeu majeur de l'Etat d'Israel, ces méthodes d'irrigation avancées permettent d'envisager les années à venir avec sérénité pour les Israeliens de la région. En effet, la technique du goutte à goutte qui consiste à acheminer l'eau uniquement à l'endroit désiré et au moment opportun a révolutionné l'agriculture en réduisant la consommation d'eau de 30 à 60%.
Depuis 1997, les cultures sous serre, les systèmes de fertilisation, de gestion de l'humidité et de la température ont aussi permis le développement rapide de l'agriculture dans le désert et l'exportation vers l'Europe, de légumes estivaux durant les mois d'hiver.
Quant aux systèmes de classement et aux techniques d'emballage sophistiqués, ils participent à faire du désert de l'Arava, l'agriculture en milieu désertique la plus avancée du monde.

Les Thailandais ont remplacé les pionniers Israléliens

Malgré toutes ces avancées technologiques, l'intervention de l'homme reste indispensable car pour semer les graines en hiver, sélectionner les légumes à matûrité ou transporter les palettes, rien ne peut remplacer le travail de l'ouvrier agricole. Et contre toute attente ce sont les Thaïlandais qui sont venus en masse travailler dans le milieu hostile du désert israélien. « Les jeunes ne veulent plus travailler la terre ... les températures atteignent 45° en été et les salaires sont modestes: l'agriculture n'attire plus » soupire Boaz,
Pour pallier ce manque de main d'oeuvre, Israel c'est d'abord tourné vers les Palestiniens. Mais à la suite de la première intifada, ils ont été rapidement remplacés par des migrants Asiatiques : Népalais, Thailandais, Chinois qui payent jusqu’à 15000 dollars pour obtenir un visa de travail Israélien valable 5 ans.
« Chaque famille possède 4 ou 5 visas; il y a plus de Thailandais que d'Israeliens dans ce moshav. » confie ce propriétaire terrien. 500 à Ein Yahav et 26 000 dans tout Israel, qui viennent ajouter une touche de singularité à ce décor déjà atypique.

Les nouveaux esclaves du désert

Les tracteurs qui traversent le village , transportant palettes et matériel, acheminent ainsi vers les serres ces hommes inattendus qui cachent le moindre centimètre de peau afin d’en préserver la blancheur, signe d'appartenance à une classe sociale élevée dans de nombreux pays Asiatiques.
C’est grâce à cette main d'oeuvre très abordable, que l'agriculture Israelienne fonctionne encore. « Sans eux, l'agriculture n'existerait plus.» confie Boaz.
Payés bien au dessous du salaire minimum, ils travaillent de 10 à 15 heures par jour 7 jours sur 7, logés dans des conditions souvent inacceptables. Le pire réside dans les contrats de travail qui les lient à leur employeur, car par crainte de perdre leur emploi, et donc leur légalité sur le territoire, ces nouveaux travailleurs du désert acceptent de travailler dans des conditions de travail proches de l'esclavage. Droits bafoués, confiscation du passeport, conditions de vie misérables, toutes ces méthodes visent à restreindre leur mobilité et à les asservir.

C’est de retour à Tel Aviv dans le bureau de Kavlaoved, association Israelienne de protection des droits des migrants, que nous rencontrons Beg.
Après 5 ans de travail agricole dans un moshav près de la Bande de Gaza, ce Népalais d'une quarantaine d'année, a décidé de porter plainte contre son employeur pour non paiement de salaire et non respect des lois Israeliennes sur le salaire minimum et les horaires de travail. « On commence avec le soleil vers 5h30 et on finit quand il se couche aux environs de 20h. On m'avait dit que je gagnerai 5000 shekels (environ 900 euros) par mois, mais pour 8 heures de travail par jour, pas pour 15. » Bien résolu à ne pas se laisser faire. il refuse pourtant de retourner dans le moshav, par peur des représailles.
Beg n'est malheureusement pas un cas particulier. Les plaintes s’accumulent sur le bureau de Kavlaoved qui engage comme elle peut de nombreux procès aux employeurs et aux agences de recrutement.

Si l’Arava veut rester exemplaire, L’Etat d’Israël devra un jour lever les yeux sur des pratiques qui salissent les si beaux fruits et légumes du désert.

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Texte et photos par Mélanie Rouffet

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Au service de la photographie depuis 2001