ROBERT CAPA - ENDRE ERNÔ FRIEDMAN (1913-1954)
Par Michel Lecocq
"Si une photo n'est pas bonne, c'est qu'elle n'est pas prise d'assez près"
Robert CAPA
Robert CAPA est mort un jour en mai 1954 sur le champ de bataille de la guerre d'Indochine à l'âge de 40 ans. ll aurait pu, sans doute, mourir plus tôt tant sa passion et même pourrait-on dire sa folie du risque le conduisait à ignorer le danger. Qui aurait pu penser que ce juif hongrois, de son vrai nom Endré Ernö Friedman, né à Budapest le 22 octobre 1913, allait être à l'origine d'un genre photographique nouveau : le photoreportage de guerre. Ce sont peut-être les événements politiques, sans doute sa volonté, son rêve d'un monde nouveau lié à un engagement idéologique précoce et son courage inaltérable qui l'ont conduit à devenir le photographe que nous connaissons, aujourd'hui, 50 ans après sa mort.
L'APPRENTISSAGE
Après une enfance et une adolescence sans histoire, il est amené à quitter précipitamment la Hongrie en 1931, à l'âge de 17 ans en raison de sa participation aux activités hostiles au gouvernement conservateur de l'époque. Il s'installe, avec ses parents, à Berlin bien décidé à y étudier le journalisme, mais récession économique et difficultés familiales ne lui permettent pas de poursuivre ses efforts dans cette voie. Il obtient alors un poste d'assistant à la DEPHOT : prestigieuse agence photographique de presse fondée par un compatriote également en exil : Simon GUTTMAN. C'est dans cette agence qu'il apprend rapidement le métier et qu'il devient apprenti photographe, c'est également grâce à Simon GUTTMAN et à l'indisponibilité providentielle des photographes de l'agence que lui est offerte la possibilité de réaliser son premier photoreportage sur le révolutionnaire russe TROTSKY en exil à Copenhague. Hélas, malgré un accueil enthousiaste de la profession, ce reportage ne lui donne pas la chance de se faire une place dans le milieu. En 1933, il doit fuir l'Allemagne nouvellement sous le joug du national-socialisme hitlérien.
LA VIE PARISIENNE
De retour à Budapest pendant une courte période, il se rend bien vite à Paris à l'automne 1933. C'est à Paris qu'il rencontre alors entre autres André KERTESZ, David SZYMIN (Seymour) et Henri CARTIER-BRESSON. L'amitié qui naîtra entre ces hommes donnera naissance 14 ans plus tard à l'une des agences photographiques les plus connues : l'agence MAGNUM. Il fait également la rencontre troublante et déterminante de Gerda POHORYLLE, une réfugiée juive allemande d'origine polonaise.
Au delà de l'amour passionnel qu'elle voue alors à Endré, elle est à l'origine du label " CAPA " : en effet, agent avisée d'Endré au sein de l'agence ALLIANCE-PHOTO que ce dernier vient de créer avec Maria EISNER, elle a l'idée avec Endré, les ventes se faisant rares, de forger de toute pièce la légende d'un photographe américain prestigieux du nom de Robert CAPA, lequel également représenté par Gerda travaille au coté de Endré FRIEDMAN dans le même registre. Peu à peu au cours des mois qui suivent FRIEDMAN disparaît au profit de CAPA. Il s'essaye dans le même temps, au reportage social en couvrant les manifestations parisiennes liées à la montée du front populaire en 1936.
LA GUERRE D'ESPAGNE
Mais CAPA ne serait pas CAPA sans la guerre d'Espagne. Cette dernière commence le 17 juillet 1936. Dés le 5 août de la même année, le couple de photographes est à Madrid pour couvrir les premiers mouvements des troupes républicaines à la demande des magasines " Vu " et " Regards ". Ils seront alors sur tous les fronts. Cette année de sa vie aux cotés de Gerda, devenue TARO par le jeu des pseudonymes, lui permet de s'illustrer à 23 ans comme l'un des plus grands photoreporters. Son style bien particulier s'appuyant toujours sur une présence au plus près de l'événement s'affirme, malgré une qualité technique parfois approximative.
Certains de ses clichés inspirent Ernest HEMINGWAY pour son livre " pour qui sonne le glas " et de ces relations de guerre naît une sincère estime entre les deux hommes. Gerda meurt le 25 juin 1937 sur le front de Brunete, elle est la première femme reporter à mourir au combat. Robert, absent à ce moment là pour raison professionnelle, est extrêmement touché par cette tragédie malgré leur récente rupture sentimentale, et ne souhaite d'abord pas retourner sur le théâtre de la guerre d'Espagne. Il est tout de même présent au début de l'hiver de cette terrible année pour couvrir les évènements qui se déroulent sur le front de Teruel mais le cœur n'y est plus. 1938 est une année de transition. Il quitte l'Espagne et ses horreurs pour la Chine. Il est alors envoyé par le magasine " Life " pour couvrir la seconde guerre sino-japonaise. Mais il revient malgré tout pendant l'automne 1938 en Espagne, par engagements professionnels et personnels. Ses photos contribueront énormément, jusqu'à la fin du conflit, à attirer la sympathie sur des troupes républicaines alors usées et proches d'une débâcle annoncée que les brigades internationales ne pourront empêcher.
En décembre, grâce à ces reportages, Robert CAPA est élu à 25 ans par la prestigieuse revue anglaise " Picture post " plus grand reporter de guerre du monde entier.
INTERMEDE 39
La guerre d'Espagne terminée, l'année 1939 semble être une année d'espoir en Europe. Robert Capa se consacre alors à des choses plus légères qu'il avait déjà abordées au tout début de sa carrière sur des sujets comme le pèlerinage à Lisieux (1934-1935).
C'est donc un tout autre photographe que nous retrouvons et une toute autre lutte qui l'attend : le tour de France. Il couvre l'évènement pour " Match " et " Paris-soir ". Il y rapporte des images " nouvelles " et audacieuses, n'hésitant pas à braver le danger à l'arrière de la motocyclette pour donner une plus grande valeur à l'effort. Il est le premier reporter à s'intéresser aux abords de la course et aux spectateurs. Cette année passe hélas trop vite !
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Avant le début de l'invasion du sol français, le 10 mai 1940, par les troupes allemandes, Robert CAPA, menacé à plus d'un titre (juif, communiste hongrois), sait pertinemment qu'il ne pourra plus rester en France. Il part se réfugier à Londres puis aux Etats-Unis où se trouve déjà sa famille. Il sait qu'il est alors modestement et comme tant d'autres, beaucoup plus utile à la cause alliée. Chargé par les revues d'information " Colliers " et " Life " de couvrir les combats des troupes américaines en zone Europe, il est alors présent sur tous les fronts entre le printemps 1942 et l'automne 1945 : en Tunisie (1942), Sicile, Italie (1943), Normandie, France (1944), Belgique, et, pour finir, en Allemagne (1945).
Cette expérience unique de photographe nomade et itinérant lui donne une aura que très peu de photoreporters connaîtront par la suite, c'est l'âge d'or du photojournalisme cristallisé autour d'une seule et même personne : CAPA. En quête permanente de la photo " différente " du cliché de guerre traditionnel et répétitif, la " douleur des autres " l'habite jusqu'à la fin de la guerre. Cette vision finalement très humaine d'un évènement parfois horrible et inhumain le met également en marge des autres photographes à qui il reproche une trop grande banalisation de la guerre. Son refus de photographier les camps de concentration en est un exemple.
Il décidera plus tard d'interdire aux reporters de l'agence MAGNUM de couvrir les guerres lorsqu'il finit par se rendre compte que les photos des vedettes et de mode rapportent beaucoup plus et sans le moindre risque.
LES ANNEES MAGNUM
De retour d'Allemagne, Il rencontre en 1945, l'actrice américaine Ingrid BERGMAN à Hollywood et malgré une intense histoire, Robert CAPA, entouré de fantômes, se sent incapable de s'investir dans une relation durable.
Il crée en 1947 avec ses amis SEYMOUR, VANDIVERT, RODGER et CARTIER-BRESSON la coopérative photographique MAGNUM, désireux sans doute de faire partager sa vision de la guerre et de la photo, également désireux de défendre une profession souvent exploitée par les agences de l'époque peu scrupuleuses en ce qui concerne les droits d'auteurs. En marge de ces activités au sein de la coopérative, il entretient également au cours de ces années d'après guerre une grande amitié avec l'écrivain John STEINBECK qui l'amène à effectuer un voyage en Russie en 1947 dans le cadre d'un travail d'illustration pour le livre " a russian journal ". Toujours dans un souci de coller à l'actualité, il se rend en 1948 au Proche-orient pour couvrir avec le romancier Irwin SHAW, la première guerre israélo-arabe. Il y retourne plusieurs fois au cours des deux années suivantes. Il devient par ailleurs président de la coopérative photographique MAGNUM en 1951. En 1954, Robert CAPA est au Japon pour présenter une exposition photo de l'agence MAGNUM lorsqu'il apprend que le magasine " Life " cherche un correspondant pour couvrir la guerre d'Indochine et le retrait des troupes françaises. Volontaire, c'est donc aux cotés des soldats français qu'il parcourt le Tonkin jusqu'à ce jour de mai 1954 où voulant prendre une photo d'ensemble de la troupe en marche à Thai-Binh , il s'écarte de la piste et marche sur une mine.
Robert CAPA est mort le 25 mai 1954.
Robert CAPA en 11 dates :
22 octobre 1913 Naissance de Endré Ernô FRIEDMAN à Budapest
1931 Départ forcé de Hongrie
1932 Premières photos notamment de TROTSKY en exil à Copenhague 1933 Rencontre avec Henri CARTIER-BRESSON, David SEYMOUR et Gerda TARO
1936 Création du pseudonyme de Robert CAPA 25 juin
1937 -------------- 1936-1939 : guerre civile espagnole Mort de Gerda TARO sur le front de Brunete, en Espagne
1940 Arrivé aux Etats-Unis 6 juin
1944 -------------- 1941-1945: 2° guerre mondiale américaine Débarquement en Normandie sur la plage d'Omaha Beach
1945 Rencontre avec Ingrid BERGMAN
1947 Création de l'agence MAGNUM 25 mai
1954 --------------1950-1954 guerre d'indépendance de l'Indochine
Mort de Robert CAPA en Indochine
Robert CAPA en 11 livres :
A russian journal - Edition Penguin John STEINBECK - Robert CAPA
-Robert CAPA, la collection - Edition Phaidon Richard WHELAN - Robert CAPA
-Cœur d'Espagne - Edition Aperture Collectif - Robert CAPA
- Robert CAPA, photographe - Edition Nathan Richard WHELAN - Cornell CAPA - Henri CARTIER-BRESSON - Robert CAPA
- Robert CAPA - Edition photo-poche Collectif - Robert CAPA
- Robert CAPA, l'homme qui jouait avec la vie - Edition Lattès Alex KERSHAW
- Juste un peu flou, slightly out of focus - Edition Delpire Robert CAPA - Richard WHELAN - Cornell CAPA - Catherine CHAINE
- La Chine vue par MAGNUM - Edition Créaphis Collectif photographique
- D-Day - Edition Point de Vue John-G MORRIS - Robert CAPA
- Robert CAPA, l'œil du 6 juin 1944 - Edition Gallimard Claude QUETEL - Collectif - Robert CAPA
- CAPA, connu et inconnu - Edition BnF Collectif - Cet ouvrage est publié à l'occasion de l'exposition "Capa connu et inconnu", organisée par la Bibliothèque nationale de France et présentée sur le site Richelieu, dans la Galerie de photographie, du 6 octobre au 31 décembre 2004.
Robert CAPA en 2 films :
ROBERT CAPA: IN LOVE AND WAR (sortie en 2003) Film dirigé par Anne MAKEPEACE Avec: Robert CAPA et Steven SPIELBERG Raconté par Robert BURK et Goran VISJNIC Produit par Anne MAKEPEACE (USA) Producteur exécutif : Susan LACY Photographie par Nancy SCHREIBER Edité par Susan FANSHEL Musique par Joël GOODMAN
CAPA - Réalisateur Menno MEYJES Film oblige, il s'intéressera principalement à la relation de Robert CAPA avec Gerda TARO, durant la guerre civile espagnole. L'acteur Adrian BRODY incarnera Robert CAPA et Nathalie PORTMAN : Gerda TARO.
Internet :
Robert CAPA et une seule adresse Internet MAGNUM
http://www.magnumphotos.com/c/htm/
TreePf_MAG.aspx?E=29YL53IQQBB
Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique :
Chronique par Michel Lecocq
Photographies d'auteur
Site : http://www.imago-michel.com/
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