Richard AVEDON (1923-2004)
Par Michel Lecocq
"Je travaille à partir de " nons " Non à la lumière, non aux compositions, non à la séduction de la pose. Et tous ces " nons " créent un oui. J'ai un fond blanc, j'ai la personne qui m'intéresse et ce qui se passe entre nous"
Mais qui peut bien être Richard AVEDON, j'étais bien ignorant, il est vrai en me posant cette question et je m'en excuse auprès des photographes portraitistes. Eh bien alors, j'ai cherché Et j'ai compris. J'ai compris qu'il s'agissait d'un très grand photographe lorsqu'au détour de quelques images, j'ai découvert, certes, un très beau portrait de Marilyn Monroe par exemple mais aussi des portraits saisissants d'humanité pris en milieu psychiatrique ou au Viêt-Nam. J'ai découvert une multitude infinie de regards tristes, heureux ou mélancoliques. J'ai découvert les sentiments et c'est merveilleux.
20 ANS
Richard AVEDON est né en 1923, le 15 mai dans une famille juive aisée new-yorkaise. C'est dans ce milieu confortable qu'il grandit auprès de parents très attentionnés. Son père intéressé depuis longtemps par la photographie alors en pleine vogue, l'initie très tôt aux techniques photographiques notamment à l'aide d'un Kodak BROWNIE. Nous sommes en 1932 et ce petit geste bien innocent d'un père très proche de son fils allait conditionner toute une vie. Richard attrape le virus de la photographie. Dès lors, il n'aura de cesse d'exprimer son talent à travers un objectif.
Il réalise ainsi son premier portrait à l'age de 10 ans : le compositeur Sergueï Rachmaninov, voisin de palier de la famille AVEDON, en est le sujet. Il se passionne également pour les images de Martin Munkacsi, un des premiers photographes de mode pour Harper's Bazaar et c'est à travers un regard neuf inspiré par de telles images qu'il réalise pendant les quelques années suivantes, des instantanés familiaux de très bonnes qualités qu'il n'hésite pas à agrémenter d'animaux notamment de chiens et de Limousines empruntées pour la circonstance.
Entre 1929 et 1941, parallèlement à cette activité photographique, il exprime également son ardent besoin d'échange et de communication à travers quelques publications écrites pendant ses années d'étude au sein de la très prestigieuse Witt Clinton High School et au sein de l'université de Columbia. Cette activité, non dépourvue de qualité, loin s'en faut, est récompensée à la fin de ses études en 1941 : il obtient un prix pour l'ensemble de son œuvre poétique, prix décerné par les grandes écoles de New York (New York times : 24 Mai 1941).
8 novembre 1941, l'attaque sur Pearl Harbor bouleverse l'Amérique qui s'engage résolument dans l'action armée. Richard Avedon a 18 ans, il passe alors les deux années suivantes dans la marine marchande d'abord affecté au service des photos d'identité puis aux autopsies. C'est dans ce contexte particulier que le goût prononcé pour le portrait lui vient et sera l'élément fondateur de son œuvre par la suite.
PREMIERES AFFAIRES A HARPER'S BAZAAR
En 1944, la guerre à peine finie, Richard entreprend de s'investir résolument dans le monde de la photographie. Il suit alors les cours d'Alexeï Brodovitch, enseignant à la New School For Social Research et directeur artistique à Harper's Bazaar et un an plus tard, il est incorporé à l'équipe photographique de cette illustre maison. Après une escapade en Italie qui lui permet de réaliser quelques instantanés, il photographie en 1947 pour la première fois les collections de la haute couture française. Il sera fidèle à ce rendez-vous annuel pendant 37 ans, jusqu'en 1984.
D'autre part, outre ces activités au sein de la maison Harper's Bazaar, il devient pour un temps en 1949, rédacteur en chef adjoint du magazine " Théâtre Arts ", ce qui lui permet d'entrevoir d'autres possibilités à la photographie et d'affirmer un style qui sera par la suite sa " marque de fabrique ". Il n'abandonne pas pour autant ses instantanés qu'il affectionne particulièrement notamment dans les rues de New York au cours de cette même année.
Les années cinquante lui donnent la possibilité de réellement offrir aux regards, le meilleur de lui-même aussi bien dans le domaine de la photo bien sûr, qu'au niveau cinématographique. Son style, maintenant définitivement établi autour de portraits sur fond neutre intéressent voire intriguent énormément les critiques d'art et les éditeurs qui voient dans cette nouvelle démarche de grandes possibilités. D'autre part, en 1956, il est conseillé visuel sur le film " funny face " ou Fred Astaire joue le rôle d'un photographe de mode. Ces années lui permettent également de s'afficher résolument dans le grand monde aux côtés des stars de l'époque notamment Marilyn Monroe, il devient ainsi le photographe incontournable des stars.
En 1959, il publie son premier livre de photos : " Observation " sur des textes de Truman Capote. Trois ans plus tard, une première exposition " Richard Avedon " à la Smithsonian Institute à Washington, vient conclure une période de riches activités.
C'est donc un très grand photographe qui aborde l'année 1963. Richard n'oublie pas qu'il est également un photographe de l'instant, n'hésitant pas à couvrir une actualité parfois difficile. Nous le voyons donc tour à tour au cours de cette année auprès des militants pour les droits civiques, auprès des adeptes du Khu Klux Klan ou bien auprès des malades dans un hôpital psychiatrique. Le 22 novembre 1963, au soir de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, c'est à Times Squares qu'il pose son appareil photo.
Il n'y a rien de personnel, c'est un peu son message et le livre qu'il publie en 1964, " Nothing Personal " en est la conclusion sur des textes de James Baldwin. 1965 est une année anniversaire : 20 ans de collaboration avec Harper's Bazaar. Il quittera cette revue de très grande facture au cours de l'année pour rejoindre l'année suivante le magazine " Vogue ". Pour Richard, une nouvelle aventure commence.
VOGUE SANS GALERE
" Vogue " lui offre un autre monde autour de personnalités comme Pénélope Tree : une des icônes de la mode des années 60, les Beatles qu'il photographie en 1968 ou Andy Warhol immortalisé en 1969. En 1970, une rétrospective " Richard Avedon : 1945 - 1970 " est proposée au public à la Minneapolis Institute of Art résumant 25 ans de photos.
Dans le même temps, il poursuit sa démarche de photographe de terrain en suivant de près les mouvements hippies contre la guerre du Viêt-Nam. Démarche qui l'amène, en 1971, à se rendre au Tonkin pour réaliser les portraits des responsables militaires et civils américains mais également des victimes du napalm.
Trop engagé pour la paix, il est arrêté et incarcéré après une manifestation pacifiste à Washington. Libéré au cours de l'année 1972, il réalise une série de portraits de son père malade d'un cancer, série commencée en 1971 et qu'il terminera en 1973 à la mort de ce dernier. La même année, " Alice in wonderland : the forming of a company, the making of the play " troisième livre de Richard est publié sur des textes de Doon Arbus.
Par deux fois au cours des deux années suivantes, il expose d'abord au " Muséum of Modern Art " à New York : des portraits de son père prise au cours de sa maladie " Jacob Israël Avedon ", puis en 1975, à la " Malborough Gallery ", toujours à New York, des portraits réalisés au cours de la période 69-75.
C'est donc un photographe omniprésent, aussi bien dans le monde de la mode que sur le fil de l'actualité, qui publie son quatrième livre en 1976 : " portraits ". La même année, nous le retrouvons dans les pages du magazine " Rolling Stone " pour lequel il a figé, à l'occasion des élections à la présidence et du bicentenaire de l'indépendance américaine, 73 personnes issues de l'élite du pouvoir dans son pays.
Il s'ensuit alors, pour Richard, une grande période d'expositions et de rétrospectives qui l'entraîneront à présenter son travail, entre 1977 et 1984, sur les cimaises des plus prestigieuses galeries d'art : nous pouvons alors admirer ces oeuvres notamment en 1978, au " Metropolitan Muséum of Art ", à New York, pour l'exposition " Avedon : photographs 1947-1977. (L'exposition sera suivie d'une publication sous forme brochée) et en 1980, au " University Art Muséum " à Berkeley pour l'exposition " Avedon : 1946 - 1980 ".
L'année 1985 est marquée par deux événements intéressants pour Richard, il finalise enfin un projet commencé 6 ans plus tôt, " the american West " constitué de plus de 700 portraits d'américains des classes moyennes et pauvres pris dans 17 états de l'ouest : travail qui l'amène encore une fois à exposer de nombreuses fois au cours de l'année. Le livre " in the american west : 1979 - 1984 ", paraît la même année et rencontre un vif succès. D'autre part, il commence une collaboration avec la revue française " égoïste ", qui l'amènera 4 ans plus tard à faire un voyage à Berlin pour couvrir la chute du " mur " et la réunification allemande. Cette infidélité à la maison " vogue " marque un tournant dans les relations entre le photographe et le magazine, Richard quitte ainsi le magazine en 1990 après plus de 25 ans de bons et loyaux services.
" NEW-YORKER, NEW-YORKER "
Richard Avedon est orphelin, le " new-yorker ", la célèbre revue d'actualités en veine de photographes à la stature internationale l'accueille alors. En 1992, il devient le premier et unique photographe du magazine. Mais la décennie à venir est surtout marquée par une reconnaissance de chaque instant du monde de l'art et de la mode pour un travail qui lui vaut alors toutes les récompenses.
En 1993, Richard publie son huitième livre " an autobiography Richard Avedon ", un peu une conclusion de ces années passées au cœur de la mode et de l'actualité. L'année suivante, la rétrospective " Evidence " sur 50 ans de carrière le conduit une nouvelle fois à fréquenter les plus grandes galeries d'art. Le livre " Evidence : 1944 - 1994 Richard Avedon " conclut cette série d'expositions de la meilleure des façons et rencontre encore une fois un très grand succès.
En 1995, avec son amie Doon Arbus, il réalise une fable photographique pour le journal " New-yorker " : " in memory of the late Mr. and Mrs Comfort ". La même année, nous le retrouvons dans un rôle bien exceptionnel, devant la caméra pour un documentaire sur son œuvre : " Richard Avedon : darkness and light ".
Dans la continuité de ses précédentes œuvres photographiques, trois livres résumant des périodes précises de sa vie sortent entre 1999 et 2002, il s'agit pour Richard de témoignages précieux alors que sa carrière est maintenant derrière lui : " Avedon, the sixties ", " Richard Avedon : made in France ", " Richard Avedon portraits " sont, à ce titre, des livres indispensables.
" THIS IS THE END "
Personne, alors ne peut prévoir le drame qui va se jouer au cours de cette année 2004. Richard était, ces dernières années, certes fatigué car souvent sollicité par le prestigieux " new-yorker " par exemple ou bien par une rétrospective mais sa fragilité ne se lisait pas sur ces photos. Une semaine avant sa mort, ses photos étaient encore présentes en première page du numéro du 27 septembre du " New-Yorker ". Hélas, Richard Avedon s'est éteint des suites d'une hémorragie cérébrale à l'âge de 81 ans, le 1er octobre 2004.
Il reste, pour se souvenir de lui, une multitude de regards et un style irremplaçable ; il sera toujours le photographe des stars comme celui des gens simples, le photographe des instantanés saisissants d'humanité, le photographe de la nouvelle mode : réinventant les défilés d'après guerre par la recherche permanente d'une mise en scène. Il est comme il se définissait lui-même, le photographe des " nons " : pas de lumière sophistiquées, pas de compositions trop évidentes, pas de séduction de la pose. Il travaillait au naturel…..et naturel, il était.
Richard AVEDON en 13 dates :
15 mai 1923 Naissance de Richard AVEDON à New York
1932 Premier appareil photo, un KODAK BROWNIE offert par son père
1933 Premier portrait : Sergueï Rachmaninov, un voisin
1945 Devient photographe pour la revue de mode " Harper's Bazaar "
1947 Premières photos des collections de la haute couture française
1954 Création de son style si particulier, sur fond blanc ou neutre
1966 Départ de " Harper's Bazaar " pour le magazine " Vogue "
1972 Première et unique expérience carcérale à la suite d'une manifestation pacifiste à Washington
1979 Début du projet " in the american west " terminé en 1984
1985 Collaboration avec la revue française " Egoïste "
1990 Départ de " Vogue "
1992 Rejoint l'hebdomadaire " New Yorker " comme premier et unique photographe
1° octobre 2004 Disparition de Richard AVEDON à l'age de 81 ans, à San Antonio (Texas)
Richard AVEDON en 13 livres :
-1959 - Observation Richard AVEDON - Truman CAPOTE
- 1964 - Nothing personal Richard AVEDON - James BALDWIN
-1973 - Alice in wonderland : the forming of a company, the making of a play Richard AVEDON - Doon ARBUS
- 1976 - Portraits Richard AVEDON
- 1978 - AVEDON : photographs 1947 - 1977 Richard AVEDON - Harold BRODKEY
- 1985 - In the american west Richard AVEDON - Harry N. Abrams
- 1993 - An autobiography Richard AVEDON
- 1994 - Evidence : 1944 - 1994 Richard AVEDON - Jane LIVINGSTON - Adam GOPNIK
- 1999 - AVEDON the sixties (cf.illustration) Editions Plume Richard AVEDON - Doon ARBUS
- 2000 - Le calendrier Pirelli : 1994 - 1999 (cf.illustration) Editions de la Martinière Richard AVEDON - Peter LINDBERG - Herb RITTS - Bruce WEBER
- 2001 - Richard AVEDON : made in France Richard AVEDON - Judith THURMAN
- 2002 - Richard AVEDON : portraits Richard AVEDON - Maria Morris HAMBOURG - Mia FINEMAN
- 2002 - Vice et Versa : 20 ans de mode de Versace (cf.illustration) Editions Plume Richard AVEDON
- Richard AVEDON et un seul documentaire
- 1995 - Richard AVEDON : darkness and light (cf. illustration) DVD American Master Richard AVEDON - Réalisé par Helen WHITNEY.
Richard AVEDON et une seule adresse Internet :
Le site officiel " Richard AVEDON "
http://www.richardavedon.com
Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique :
Chronique par Michel Lecocq
Photographies d'auteur
Site : http://www.imago-michel.com/
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