Par Roland Quilici
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L'exposition "Objectivités. La photographie à Düsseldorf " qui se tient au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris du 4 octobre 2008 au 4 janvier 2009 est l’occasion de revenir sur l’un des couples les plus emblématiques de l’histoire de la photographie, d’autant que Bernd Becher est décédé récemment.
Fruit d'une collaboration entre la Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen (K20K21) et le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris / ARC, cette exposition s'inscrit dans le cadre de la Saison France - Rhénanie du Nord-Westphalie. 16O œuvres sélectionnées donnent à voir, pour la première fois en France la diversité et la richesse de la photographie de l’école Allemande de Düsseldorf des années 1970 à nos jours, avec Lothar Baumgarten, Bernd et Hilla Becher, Laurenz Berges, Elger Esser, Hans-Peter Feldmann, Andreas Gursky, Candida Höfer, Axel Hütte, Klaus Mettig, Simone Nieweg, Sigmar Polke, Gerhard Richter, Thomas Ruff, Jörg Sasse, Ursula Schulz-Dornburg, Katharina Sieverding, Beat Streuli, Thomas Struth, Petra Wunderlich.
Bernd et Hilla Becher
Bernhard (Bernd) Becher est né le 20 août 1931 dans la ville minière de Siegen en Allemagne. La maison familiale, où il grandit se trouve à côté du « Hainer Hütte », l’aciérie. De son jardin, il entend et sent les choses qui s’y passent.
Il apprend la peinture, la décoration et la lithographie à l’Académie des beaux-arts de Stuttgart de 1953 à 1956, au côté de Karl Rössing (peintre), puis la typographie à la « Staatliche Kunstakademie » de Düsseldorf de 1957 à 1961.
1954, après un apprentissage au sein de l’entreprise de son père, comme peintre et décorateur, il passe une période en Italie à parfaire sa pratique du dessin d’architecture.
Pendant ses vacances, il revient chez ses parents, et commence à peindre des paysages de sa région natale avant d’utiliser la photographie en 1957, qui lui sert de matière pour ses gouaches et ses lithographies.
Les terrains de jeux de son enfance disparaissent devant ses yeux à un rythme soutenu. Avec un appareil 24 X 36 emprunté, il assiste à la démolition de la mine « Eisenhardter Tiefbau », situé à Eisern et enregistre ce qu’il ne peut consigner sur ces croquis.
Bernd rencontre Hildegard Wobeser en 1957, à l’agence de publicité Troost à Düsseldorf, il a 26 ans.
Hildegard née Wobeser, est connue sous le nom d’ Hilla. Elle est née le 2 septembre 1934, à Potsdam, près de Berlin. Elle s’intéresse à la photographie, depuis l’âge de treize ans, au contact de sa mère, elle même photographe. Elle commence son apprentissage photographique durant trois ans auprès de Walter Eichgrün, qui tient un studio photographique réputé à Potsdam, en Allemagne de l’Est. Elle se forme ainsi au portrait, à la nature morte, et à la photo d’architecture, s’exerçant à photographier les jardins et les bâtiments du palais du Sans Souci. Elle a 19 ans, lorsqu’elle décide de passer à l’ouest. Elle trouve un travail à Düsseldorf dans l’agence de publicité Troost, où Bernd officie également pendant ses vacances. Malgré une place intéressante, elle décide de reprendre des études.
1958, Bernd et Hilla deviennent tous deux étudiants à l’académie d’Art de Düsseldorf. Hilla se voit confier la mission d’acheter du matériel pour installer un laboratoire photographique.
1961, ils cessent leurs études, se marient, et entament une carrière, comme photographes industriels, et ouvrent un studio de photographie à Düsseldorf.
Bernd Becher : « Nous avons commencé à photographier dans ma ville natale. C’était un peu autobiographique. Mes ancêtres ont quasiment tous travaillé dans les mines ou les hauts-fourneaux. »
Leurs premiers sujets sont les habitats ouvriers de Westphalie, avec les maisons ouvrières à colombage situées dans la zone industrielle de Siegen, puis le bassin liégeois et les mines du Borinage, en Hollande. Ils s’intéressent ensuite aux bâtiments et usines de la Ruhr, situés à quelques kilomètres de Düsseldorf de 1961 à 1965. Ils privilégient les détails de structures, et leur travail n’est vu à ce moment, que par des ingénieurs et des historiens de l’architecture et du patrimoine industriel. Lorsqu’ils débutent, de nombreux édifices, sont déjà abandonnés, et voués à une destruction imminente. Ils souhaitent par leur travail faire prendre conscience de la valeur de ce patrimoine.
Hilla Becher désigne sous le terme « d’anatomies comparatives » ces ensembles de photographies, qui vont devenir au fil du temps, les traces de l’ère industrielle du XIXe siècle.
1963, voit leur première exposition à la Galerie Ruth Nohl à Siegen, dans une librairie.
1966 ils explorent l’Angleterre et le sud du Pays de Galle pendant six mois, grâce à une bourse accordée par le British Council.
Dès les années 1968, ils exposent dans des villes européennes en dehors d’Allemagne, puis aux USA.
En 1969, leurs exposition « Anonyme Skulpturen » (titre du journal – Kunst Zeitung n°2 (Sculptures anonymes) est organisée simultanément avec une rétrospective d’art minimaliste américain. Le terme de sculpture est la définition qu’ils donnent à ces éléments d’architecture.
Ils déclarent : « Les objets qui nous intéressent ont en commun d’avoir été conçus sans considération de proportion et de structure ornementales. Leur esthétique se caractérise en ceci qu’ils ont été créés sans intention esthétique. L’intérêt que le sujet a à nos yeux réside dans le fait que des immeubles à fonction généralement identique se présentent avec une grande diversité de formes. Nous essayons de classer et de rendre comparables ces formes au moyen de la photographie… »
Le contexte photographique de l’après-guerre allemand est fortement marqué par une « photographie subjective » supposée abstraite. Leur style les oppose à celui d’Otto Steinert, un photographe enseignant, qui s’attache à promouvoir une photographie subjective basé sur une expression poétique.
Le fait de photographier la « réalité », résulte d’un engagement politique et citoyen. Leur projet constitue donc par sa nature une démarcation par rapport au canon de la« Neue Sachlichkeit » (Nouvelle Objectivité) de l’entre-deux-guerres, dont August Sander, est la référence ultime à leurs yeux. Le fait de garder la main sur le processus qui va de la prise de vue, en passant par le développement et la présentation de leurs images, comme une chose déterminée leur permet de rester dans la tradition de ce photographe de référence.
1970, la galerie de Konrad Fischer à Düsseldorf les représente. Leur travail fait partie de l’expo "Information" présenté au Museum d’Art moderne, à New York, cette année là. Ils publient leur premier album « sculpture anonymes ».
1972, ils exposent à la galerie Nigel Greenwood, et accèdent à la reconnaissance du milieu de l’art, avec leur première exposition personnelle, à New York, comme artistes conceptuels, grâce aux peintres qu’ils côtoient. Carl Andre, Donald Judd, Robert Smithson, ou Sol LeWitt, voient une sorte d’application photographique des principes de leur mouvement.
Leur fils Max, décide de s’installer à New-York.
Ileana Sonnabend les expose à New York dans sa célèbre galerie. Leur travail est présenté également lors de la Dokumenta, de Cassel en 1972, en 1977, puis en 1982, dans la manifestation d’art contemporain majeure Allemande, toujours par cette galeriste. Cette même année, ils sont invité à la quatorzième biennale de São Paulo avec l’exposition « Typologien industrieller Bauten 1963-1975 ».
1975 ils sont invités à participer à l’exposition « New Topographics : Photographs of a Man-Altered Landscape » (Les nouveaux topographiques : photographies de paysages altérés par l’homme), qui a lieu à Rochester, aux USA. Cette manifestation fait date dans l’histoire de la photographie de paysage. Robert Adams, Lewis Baltz, Joe Deal, Nicholas Nixon, John Schott, Stephen Shore, Frank Gohlke, et Henry Wessel Jr, en sont les représentants.
1976, Bernd débute l’enseignement d’une classe de photographie, qui va influencer de nombreux artistes à la Kunstakademie de Düsseldorf. Hilla officie comme responsable du laboratoire photographique, dans cette même école. Ils y exercent jusqu’en1996.
Parmi leurs élèves, on trouve de nombreux photographes ayant acquis une notoriété dans le milieu de l’art contemporain, tel Candida Höfer, Axel Hütte, Thomas Struth, Thomas Ruff, Petra Wunderlich, Jörg Sasse, Tata Ronkholz ou Andreas Gursky, qui est le plus célèbre.
Pendant plus de cinquante années ils recensent diverses sortes d’édifices industriels tels, les silos, les puits de mine, les hauts fourneaux, les gazomètres, les tours de refroidissement et les châteaux d’eau, soit plus de16.000 photographies qui donnent lieu à l’édition d’une vingtaine de livres, laissant une œuvre monumentale qui est largement montrée dans le monde entier.
C’est à bord d’une camionnette rouge, de marque Volkswagen, devenue un modèle légendaire, qu’ils improvisent un laboratoire. L’engin qui supporte des échelles sur son toit, leur permet de se déplacer, et d’y vivre, quand ils ne logent pas dans des hôtels bons marchés, durant leur déplacement. Compte tenu de la hauteur des édifices, il leur est nécessaire de recourir à des échelles placés sur le toit de leur camionnette, afin d’avoir le meilleur point de vue possible.
Ils font usage exclusivement du noir et blanc dans des séries de petit format sous forme de tableaux de 9, 12, 15, ou 16 photographies, alignées sur plusieurs rangées, avec un sens de lecture horizontal, vertical ou diagonal.
La neutralité est pour eux un élément primordial, ils prennent donc soin d’écarter tous les éléments extérieurs du cadre, sauf dans leurs images des hauts-fourneaux, où ils utilisent un grand angle.
Ils enregistrent des vues frontales, légèrement en hauteur, privilégiant un temps couvert de manière à ne générer aucune ombre, avec des ciels blancs ou légèrement voilés. (Ils utilisent également des filtres afin de faire disparaître certains détails dans les ciels). L’usage d’une chambre grand format de marque Linhof de format 13 x 18 (5X7 inch) munie d’un téléobjectif, avec un film peu sensible, leur permet d’éviter toute distorsion de l’image, mais les obligent à des temps de pose de 10 secondes en moyenne pour une ouverture de f 45.
Petit à petit leur photographie, qui se veut un non style devient leur marque de fabrique.
Ils privilégient l’hiver, plutôt que le printemps ou l’automne pour éviter la gêne occasionnée par la végétation. Ils leurs arrivent d’attendre pendant des jours, voir de retourner plusieurs fois sur un même site, afin d’obtenir la lumière qui leur convient, ou un angle de vue plus juste.
La rigueur de cette photographie objective, et l’aspect systématique n’est pas sans rappeler l’œuvre d’Eugène Atget, ou celle des photographes allemands des années 30, tel August Sander avec ses portraits, ou celle de Peter Weller, d’Albert Renger-Patzsch, avec ses images d’usine, mais également celle de l’américain Walker Evans.
Malgré ce parti pris d’une photographie qui semble uniquement documentaire, chacune de leurs images laisse entrevoir un caractère esthétique, servi par la qualité, et le talent qu’Hilla Becher met dans le tirage des clichés.
1981, le Stedelijk Van Abbemuseum, d’Eindhoven, organise une rétrospective de leurs œuvres.
1985, une importante exposition prend place au Museum Folkwang d’Essen, avant sa présentation à Paris au Musée d’Art Moderne, puis à celui de Liège, en Belgique.
1991, ils obtiennent la reconnaissance internationale avec l’obtention du Lion d’Or dans la catégorie sculpture à la biennale de Venise. Une rétrospective leur est consacré à la « Kunstverein », de Cologne, cette même année.
2002, le prix Erasmus, reconnu comme la plus haute distinction dans le domaine des arts en Hollande leur est remis à Amsterdam.
Novembre 2004, Bernhard et Hilla Becher sont couronnés par le prestigieux prix de la fondation Hasselblad à Göteborg, en Suède.
Ils habitent durant de nombreuses années, dans une ancienne papeterie, puis dans un moulin situé dans le quartier de Wittlaer, à Düsseldorf.
Bernhard Becher meurt le 22 juin 2007, à l’âge de 75 ans à Rostock, des suites d’une opération cardiaque.
Cinquante années d'une aventure artistique prend fin. Heureusement les quelques 16 000 clichés font dorénavant partie de la mémoire collective de cette architecture qui raconte si bien l'histoire.
Roland Quilici
En savoir plus sur les illustrations de cet article :
Photo 1 : Portrait de Bernd et Hilla Becher - Wikimedia Commons
Photo 2 : Typologies de Hilla Becher (Auteur), Bernd Becher (Auteur) - Editeur Mit Press - ISBN-13: 978-0262025652
Photo 3 : Industrial Landscapes de Hilla Becher (Auteur), Bernd Becher (Auteur) - Editeur Mit Press - ISBN-13: 978-0262025072
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Chronique par Roland Quilici
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