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La photographie sociale et documentaire

Migrant Mother - Dorothea Lange

Migrant Mother - Dorothea Lange - Migrant Mother - Dorothea Lange
Rapidement après l’invention de la photographie, un grand nombre de personnes se sont emparées et appropriées ce nouvel outil. Depuis, il est possible de capturer un moment, un souvenir et de le garder pour toujours. Mais il est aussi possible de transmettre un message, de montrer une vision, une réalité à ceux qui ne l'ont pas devant eux.

C’est avec ce même but qu’est née la photographie sociale, documentaire. La personne derrière la caméra veut capturer une réalité qu’elle soit politique, sociale ou bien personnelle. Il y a souvent une forte portée militante derrière ces clichés, une réflexion sur une situation, sur le monde. L’auteur souhaite alerter, attirer l’attention. Et une des façons de le faire est de créer l’émotion chez le spectateur avec des clichés poignants. Il est considéré que les premiers travaux de cette photographie sociale ont été faits au XIXe siècle, par Henry Mayhew, Jacob Riis, et Lewis Hine.

Mais c’est sur Dorothea Lange, un autre grand nom de ce genre sur qui nous allons nous arrêter. Notamment, sur son travail de documentation de la migration au sein des États-Unis lors de la Grande Dépression et le Dust Bowl. Ensuite, nous nous intéresserons à des travaux plus contemporains comme ceux de César Dezfuli. Il a également documenté des migrations à travers ses séries de photos “Passengers” et “Banjul to Biella”.

Chacun a utilisé la photographie documentaire pour montrer la réalité derrière ce qui porte un fort stigmate au sein de nos sociétés que cela soit dans les années 1930 ou bien plus récemment. Rappelant de façon la plus digne possible que ce ne sont que des individus qui quittent tout ce qu’ils ont avec le seul espoir d’un avenir meilleur.

Le nom Dorothea Lange devrait vous être familier. Elle est la photographe derrière la photographie internationalement reconnue, Migrant Mother, prise en 1936, à Nipomo, en Californie. C’est au cours de sa documentation qu’elle a pris un certain nombre de clichés pour la Farm Security Administration (FSA), sur l’impact des politiques agricoles mises en place lors du New Deal qui vise à remettre sur pied les États-Unis à la suite de la crise financière.

Cette femme et ses enfants deviennent à la suite de ces clichés, le symbole de la précarité de la population blanche lors de la Grande Dépression qui les pousse à partir en exil pour survivre.

Il est cependant important de noter qu’à la fin des années 1970, Florence Thompson, la femme photographiée, a contesté cette représentation. Elle est en fait descendante de Cherokee et s’est retrouvée avec ces enfants dans ce camp de réfugiés par un jeu de circonstance sans y avoir travaillé.

Ce n’est pas un secret, le Krach boursier qui a eu lieu en 1929 a bouleversé les États-Unis et le reste du monde. Ses impacts ont évidemment été économiques mais aussi sociaux. La chute de la bourse américaine n’a pas épargné la population et a même fait bondir le taux de chômage entre 1929 et 1932, passant de 3,1% à 24%. De plus, en 1931, des tempêtes de poussière se sont abattus sur les Grandes Plaines américaines laissant des trainées jusqu’à New York City. Cette catastrophe naturelle a continué de fragiliser ceux qui étaient déjà précarisés, dont les agriculteurs.

C’est à la suite du New Deal, politique mise en place par Franklin Roosevelt, que pour la FSA, Lange documente l’exode de milliers de familles agricultrices du Midwest vers la Californie rurale. Leur seul but est de pouvoir reconstruire une vie et pouvoir retrouver une vie stable.

Elle produit 4 000 négatifs lorsqu’elle sillonne les États-Unis, pas moins de 22 États. Son travail et celui de huit autres photographes vont donc constituer des archives de 13 000 clichés qui rendent compte de la précarité extrême qui secoue le pays dans les années 1930. C’est ici que nous retrouvons le but même de la photographie sociale, documentaire. Pour elle, ce genre "témoigne de la société de notre époque. Elle reflète le présent et constitue une archive pour l'avenir” Ces photographies vont permettre de témoigner, de constater ce à quoi font face les populations.

C’est également le travail qu’entreprend César Dezfuli. C’est un photojournaliste qui se concentre sur les thèmes de la migration, l’identité mais aussi des droits humains. Il a couvert à la fois les élections sur le continent africain, notamment au Kenya ainsi qu’au Rwanda mais aussi en Europe, au Kosovo. Il documente aussi la vie des familles qui se sont opposées à la politique de l’enfant unique en Chine ainsi que la crise migratoire qu’a connue l’Europe en 2015. C’est à travers une de ses séries sur ce dernier sujet que nous allons voir son utilisation de la photographie sociale.

Au travers de la série “Banjul to Biella”, il documente la vie de Malick Jeng, du moment où il est secouru en mer par un bateau de sauvetage, avec 129 autres réfugiés, en 2016, jusqu’à 2018. Ce jeune de 19 ans est parti de Banjul, la capitale de la Gambie, pour rejoindre l’Italie par la mer comme 181 436 autres réfugiés et migrants en 2016. Il va ensuite suivre son épopée jusqu’à son arrivée à Bielle dans la région du Piémont, au Nord de la péninsule. Malick va y rester jusqu’en 2022, où il va résider dans un ancien hôtel transformé en centre pour réfugiés.

En 2015, ce sont un très grand nombre de migrants qui accostent les frontières italiennes et grecques. Les deux pays ainsi que Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, se retrouvent acculés par le pic de demandeurs d’asile arrivant. Le manque de coopération des pays européens pour décharger ces deux pays de la pression a contribué à créer une “crise” dans la gestion des migrants. Cela va pousser des pays à fermer leurs frontières et rétablir des contrôles tant bien même qu’ils font partie de l’espace Schengen, et donc accentuer cette impression de “crise”. 

César Dezfuli, à travers sa série de photos, raconte le quotidien “monotone” au sein du centre de Bielle. Sur son site on retrouve une histoire qui commente les photographies en noir et blanc. Son but est de montrer la réalité de la vie de ces personnes qui arrivent en Italie après avoir été secourues en mer. Avec ces clichés, on voit le désarroi mais aussi la fatigue d’attendre sans certitude de l’avenir. La photographie de Malick sous une couverture dans un lit illustre parfaitement ce qu’il a pu dire au photographe.

“Est-ce qu'ils nous sauvent de la mer et nous laissent ensuite coincés ici sans rien faire pendant des mois ?”.

Mais on voit aussi des moments de complicité comme la photo où un homme pince gentiment l’oreille d’un autre souriant ou quand certains d’entre eux jouent au football avec comme arrière-plan les Alpes.

Dorothea Lange, comme César Dezfuli et bien d’autres, font un travail essentiel en documentant ce qu’ont vécu ou vivent des individus aux quatre coins du monde. Ils mettent à disposition des archives, des témoignages qui révèlent des situations dont une partie de la société n’est pas confrontée. Cela permet notamment de challenger les narratives omniprésentes au sein des médias mais aussi des discours dans le débat public, qui invisibilisent, stigmatisent des situations pourtant bien réelles et prégnantes.

Crédits Photo :

Migrant Mother - Dorothéa Lange - Franklin D. Roosevelt Library Public Domain Photographs (NAID 195301)

La série Banjul to Biella de César Dezfuli: https://www.cesardezfuli.com/banjul-to-biella


Pour en savoir plus sur l'auteur de cet article :

Auteur : Ninon Herlet

Linkedin: https://www.linkedin.com/in/ninon-herlet-513b9a2bb/

Au service de la photographie depuis 2001