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Photographier pour faire exister

George Platt Lynes: Photographs from the Kinsey Institute Book

George Platt Lynes: Photographs from the Kinsey Institute Book - George Platt Lynes: Photographs from the Kinsey Institute Book

Pour les membres d’une société, les représentations ont une grande importance. Elles entrent très tôt dans le processus de socialisation des individus. Le fait de donner une représentation est un acte fort qui permet de sensibiliser, mais aussi de faire exister des idées, des croyances et des valeurs.

La photographie est un moyen de créer ces représentations et de les ancrer dans le sens commun. Cependant, ceci est quelque chose de normatif, qui n’est pas neutre. Ce qui est représenté reste le reflet des conceptions du photographe.

Cela n’empêche pas que la photographie est un outil majeur, qui permet de donner une certaine visibilité à des sujets de société marginalisés. La communauté queer,  des individus qui ne se reconnaissent pas dans les codes de genre et de sexualité imposés par la société, a longtemps été victime de représentations erronées, de clichés. Alors un certain nombre d’artistes se sont emparés de ce moyen pour reprendre le contrôle du récit de leur combat et de leur vie. Ces photographes créent des représentations plus que nécessaires afin de lutter contre leur invisibilisation. Mais aussi contre leur stigmatisation par des médias mainstreams et pour affirmer un fort sentiment de communauté.

Néanmoins, il n’a pas toujours été possible de rendre visible les représentations de l’homosexualité. Interdites durant de longues décennies, les artistes risquaient d’importantes sanctions et étaient censurés. Car exposer d’autres formes d’amour mais aussi de genre, c’est aussi ouvrir de nouvelles possibilités. Interdire, criminaliser certaines représentations est donc un moyen simple pour empêcher de penser en dehors des normes sociétales. 

Actuellement, le photographe américain George Platt Lynes est considéré comme un précurseur de la photographie queer. Connu de son vivant pour ses photos modes, notamment pour les magazines Vogue et Harper’s Bazaar. Mais ce sont ses clichés de nudité masculine homoérotique qui plus tard lui valent une importante reconnaissance. A l’époque où il les réalise, elles font partie d’une collection privée qui se fait voir au sein d’un cercle très fermé. A sa mort en 1955, il les a légués à l’institut Kinsey.

Le fait que ces photos ne soient pas visibles au grand public s’explique par le contexte peu favorable aux personnes LGBTQIA+ et encore plus à leur représentation. Lynes risquait d’être arrêté ainsi qu’être enfermé si ces photos tombaient entre de mauvaises mains. Il est important de rappeler que l’homosexualité n’a été dépénalisée qu’en 2003 aux Etats-Unis. Encore en 2025, les droits des personnes queers restent menacés. On peut alors facilement imaginer que pour faire exister son art, il a dû  trouver d’autres moyens pour se détourner de la censure.

Il était rare de voir des corps d’homme nu en dehors de représentation héroïque. Il a donc offert une nouvelle perspective, avec un regard beaucoup plus sensuel et intime. Cette façon de photographier les corps nus était plus souvent réservée aux femmes. Ces clichés montrent aussi des liens forts, de l’amour et une certaine fierté.

Ses décors étaient souvent simples. Il jouait bien plus avec les postures et les lumières pour mettre en avant les corps et pour transmettre des émotions. En plus des modèles et des danseurs de ballet qu’il photographiait, il arrivait à convaincre des amis ou ses amants de poser devant la caméra. Il a donc réussi, à une époque où les relations entre personnes de même genre étaient prescrites, à notamment photographier des moments tendres entre deux hommes, reflet de sa propre vie.

            Les travaux de George Platt Lynes ont été reconnus dans les années 1970, une période marquée par de nombreuses luttes sociales pour la revendication et la reconnaissance des droits des minorités. On voit donc une émergence de représentation avec des actions coup de poing ou des marches documentées malgré un contexte qui reste très hostile, notamment aux personnes queers. C’est aussi une période qui précède la crise du Sida qui va frapper violemment le monde et particulièrement la communauté LGBTQIA+. Des artistes, dont des photographes, ont alors documenté leur quotidien et ceux de leurs proches. C’est par exemple le cas de Nan Goldin, photographe américaine, qui au début des années 1990 fait face à l'arrivée de la maladie et des répercussions sur ses proches. Elle va produire une série de photos nommée “Gilles and Gotscho”.

Elle suit le couple dans l’évolution de la maladie de Gilles Dusein, jusqu’à son lit de mort. La photographe tire un cliché poignant de Gotscho embrassant tendrement le visage de son compagnon. Cette série de photos est empreinte de tendresse et ne prend pas le chemin du sensationnalisme. C’est d’ailleurs le contraire de ce qu’elle revendique. Elle le dit elle-même : “Je veux montrer exactement à quoi mon monde ressemble, sans glamour, sans glorification”.

Elle a permis d’avoir de nouvelles représentations de cette maladie mais aussi de l’amour homosexuel. Nan Goldin participe à la “déstigmatisation” de cet amour en révélant un quotidien, une réalité non fantasmée par des détracteurs. Son art fait preuve de résistance.

Aujourd’hui, Leo Xander Foo, photographe américain avec des origines sino-péruviennes, prend également part à la résistance avec ses photographies. Comme d’autres personnes queers, il utilise son art afin de représenter les luttes de cette communauté mais aussi de normaliser la présence des personnes LGBTQIA+ au sein de l’espace public. Pour le magazine Metal, il décrit son travail comme le fait de tourner autour de “Voir et d'être vu, ainsi que du portrait queer vorace et intime, créant un espace pour que mes sujets s'expriment, tout en jouant avec un lexique fluide de la passion et de l'identité.”

À travers ses photos, il se met en scène avec des autoportraits poignants. Cela nous permet de nous plonger dans son univers et de découvrir sa transition sous un angle intimiste. Une certaine chaleur ressort de ses clichés.

Foo ne s’est cependant pas arrêté à son propre vécu. Malgré son jeune âge, il a collaboré avec de nombreux magazines et marques comme Nylon, Them, Calvin Klein, Dr. Martens et bien d’autres.

En 2021, il a immortalisé la marche de libération de Brooklyn pour le magazine mondialement connu, Vogue. Cet évènement avait pour but de sensibiliser aux violences faites aux personnes noires transgenres et de rappeler le besoin de leur faire justice et de protéger leurs droits. Il prend place à la suite d’une série d’attaques et de meurtres contre des personnes trans mais aussi après la mise en place de lois anti-trans dans de nombreux états américains.

La série de photographies qui en ressort montre un fort sentiment de fierté, avec des portraits de personnes queers qui ont assisté à la marche. Le photographe semble mettre un point d’honneur à représenter des personnes non-blanches. Les femmes transgenres racisées, telles que Marsha P. Johnson, ont été les premières à se mobiliser et à se battre pour la reconnaissance des droits des personnes LGBTQIA+. La représentation des personnes queers racisées reste un enjeu majeur, ces personnes sont souvent la cible de multiples attaques et subissent une grande invisibilisation. Pourtant, elles sont souvent moteur dans la lutte contre les discriminations.

Lors de la marche, les individus étaient habillés en blanc pour montrer leur solidarité envers les personnes noires transgenres ainsi que pour rappeler la Silent Protest Parade qui a eu lieu à New York City en 1917. Le choix de cette couleur a donc une grande symbolique. Le photographe a su mettre cela en valeur en créant un contraste avec des couleurs plus vives, venant des pancartes, des drapeaux, des alentours mais aussi des couleurs de cheveux, de peaux, du maquillage et des accessoires des individus.

Ils montrent ainsi une communauté soudée, qui s’enlacent, qui dansent, qui rient et sourient. Cela relève d’un enjeu majeur, de représenter de la joie malgré les horreurs que peuvent connaître les personnes queers. Ces photos sont les témoins d’une forme de joie de se mobiliser ensemble.

L’entièreté du travail de ces artistes, et de bien d’autres, est une déclaration qu’être membre de la communauté LGBTQIA+ n’est pas forcément synonyme d’être misérable et seul. C’est lutter contre une représentation largement véhiculée et qui empêche certaines personnes de faire leur coming-out et de s’accepter.

Photographier est une manière de faire voir des possibilités, de donner espoir mais aussi de résister. C’est primordial pour la construction des individus en combattant des idées reçues.

Crédit Photo : Couverture du livre George Platt Lynes: Photographs from the Kinsey Institute - Éditeur ‏ : ‎ Bulfinch Press,U.S.


Pour en savoir plus sur l'auteur de cet article :

Auteur : Ninon Herlet

Linkedin: https://www.linkedin.com/in/ninon-herlet-513b9a2bb/

Au service de la photographie depuis 2001