Edward Steichen : l'exposition au Jeu de Paume
La rétrospective d’Edward Steichen est un véritable pamphlet à lui seul sur la photographie, en plus d’être une exposition sur un photographe, c’est aussi une exposition sur l’histoire de la photographie. Il fait le pont avec le XIXème siècle et traverse quasiment le XXème siècle tout en suivant en parallèle l’évolution technique et historique de la photographie.
Edward Steichen, né au Luxembourg, est parti aux Etats-Unis, très jeune, essentiellement pour des raisons politiques. Tout d’abord, il se consacre à la peinture puis très tôt, il manifeste son engouement à l’égard de la photographie, il commence modestement à photographier sa sœur. Il tronque les crayons, les pinceaux et prend à la place un appareil photo, il préfère extraire le réel et saisir ce que lui donne l’immédiateté du regard. Cela ne l’empêche pas de modeler le monde selon sa vision et de le soumettre à de savantes compositions. Les photographies du début de sa carrière sont saisissantes par la profondeur des noirs charbonneux et la texture soyeuse qui fait écho à la technique graphique du fusain. Etant donné que la plupart des tirages sont des vintages, c’est-à-dire qu’ils sont d’époque, cela montre le travail sur le clair obscur. A l’époque, photographier signifie donner de la matière au sujet. La photographie est une technique récente qui doit se faire une place dans le Panthéon des Beaux Arts. Les portraits d’Auguste Rodin qu’il fait dans les 1900 lors de son retour en Europe et en France sont révélateurs de cette manière de photographier. La puissance des noirs est aussi en étrange corrélation avec la stature du prestigieux sculpteur. Edward Steichen est donc le chef de fil du pictorialisme.
A ses débuts, il est pris sous l’aile d’Alfred Stieglitz qui l’influencera au départ mais leurs divergences de point de vue sur la photographie et leur fort caractères rendant leur relation très conflictuelles. Cependant ils co-fondent le groupe Photo Secession. En studio, Edward Steichen photographie avec autant d’exigence un coquillage qu’une star tel que Fred Astair. Il affectionne particulièrement des ambiances avec de forts contrastes, il joue de l’ombre et de la lumière et choisit des décors très dépouillés ce qui rappelle également l’univers du cinéma très glamour des années vingt. Il a devant son objectif des actrices de renom comme Greta Garbo et Marlene Dietrich pour les plus connues. Il montre son goût à l’égard du graphisme à travers le magnifique portrait de Gloria Swanson qui est emblématique de sa manière de saisir la femme avec ce jeu de dentelles qui vient se superposer sur le visage. Dans un contexte urbain, il saisit des perspectives impressionnantes et New York est un fief inépuisable avec ses immeubles vertigineux. Il fait des images notamment du pont de Brooklyn qui est pris en contre-plongée lui donnant une dimension gigantesque.
En fin de carrière, il s’éloigne des frivolités du monde de la mode, du cinéma ou encore de la publicité et expérimente la photographie de guerre. Il éprouve le besoin de se plonger dans les marasmes d’une réalité cruelle et sans détour. Il s’extirpe de son confort et voit un réel dur et sans concession, au cœur des aberrations de la nature humaine. Ce n’est pas le sang qui l’intéresse mais l’homme qu’il avait tant magnifié dans ses studios et qu’il retrouve dans une tragédie inextricable. En 1941 le MOMA lui commande une grande exposition qui voyage dans le monde entier, elle a comme objectif celui d’encourager l’effort de guerre « Road to Victory ». Quand la seconde guerre mondiale éclate, il se porte volontaire et intègre la Navy en 1942.
Laurence BAGOT
Infos pratiques de l'exposition
Exposition au Jeu de Paume
Edward Steichen (1879-1973), une épopée photographique
1 Place de la Concorde 75008 PARIS
Du 09 octobre au 30 décembre 2007
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Chronique par Laurence Bagot
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