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Le monde du bout... IV

 

Le monde du bout du monde IV

par Jérome Bar

Voyage ubuesque dans l'entre deux

Je vous avais déjà parlé des tramites, ces formalités administratives qui parfois prennent des tournures surréalistes. J'y reviens. Décidé à profiter d'un long week-end, et de joindre l'utile à l'agréable (ou plutôt l'inverse), nous avions planifié un petit séjour au Chili. Ainsi, cela me permettait de renouveler mon visa de trois mois, de passer voir des amis à Mendoza et de voir la mer que nous n'avions pas vue depuis des lustres. Les poissons, que nous imaginions déjà dans nos assiettes, sauraient certainement nous donner des nouvelles fraîches du Pacifique !

Nous passons la première nuit à Mendoza, chez Inès et Carlos, où les tacos mexicains d'un petit restaurant ont déjà un certain goût d'exotique au regard des pizzas, des empanadas et des gigantesques morceaux de viandes qui représentent l'intégralité de notre éventail culinaire de San Rafael. Les tacos ne parviennent cependant pas à étancher l'émulation de nos papilles à l'idée d'un congre, de langoustines ou des calamars qui nous attendent de l'autre coté de la Cordillère.

Le lendemain, nous attaquons les premières pentes escarpées des Andes. Des nuages couvrent l'horizon mais le moral est bon. Nous avons l'espoir de passer au dessus des nuages, de voir d'ici peu percer le soleil. Et effectivement, de fil en aiguille ou plutôt d'épingle en épingle, nous nous retrouvons à près de 2500 mètres d'altitude dans un paysage fabuleux, sous un grand ciel bleu.

Un tunnel, marque la bascule, la frontière physique entre l'Argentine et le Chili. Lorsque nous en sortons nous sommes déjà au Chili. Plus que quelques formalités au poste frontière et nous nous élançons vers le Pacifique. Au guichet argentin, personne. Nous présentons nos passeports et le douanier, sans moucher, appose un tampon bleu qui dit Salida de Argentina [sortie d'Argentine]. Au dessus de la tête du douanier suivant, une pancarte " auto " nous invite à présenter les papiers du véhicule. Et là, patatras… notre assiette de poisson retourne en cuisine, la mer se retire et nos vacances tombent à l'eau. Le douanier, un bougon mal rasé nous dit :
-Cette auto n'est pas à vous, je ne peux pas la laisser sortir du territoire.
Simple erreur de jugement pensons nous, tendant le papier provisoire, la facture et les reçus d'assurance qui attestent que NOTRE voiture est à nous.
-NON, nous dit-il, s'obstinant à nous montrer sur la carte verte un nom qui incontestablement n'est ni le mien ni celui d'Angeles.
-Mais nous sommes déjà sortis du territoire en janvier, pour le Brésil, et les douaniers ne nous ont fait aucun problème, rétorque Angeles
-Oui, mais contrairement au Brésil, le Chili n'est pas dans le Mercosur.

Vous saviez vous que le Chili n'est pas dans le Mercosur ? Nous non, et nous voilà dépourvus d'arguments. Angeles tente le registre sentimental, écrasant de grosses larmes sur le guichet en disant que nous avons fait le déplacement depuis Buenos Aires soit 1200 km. Le douanier tourne la tête, cherchant visiblement à se débarrasser de nous. Alors j'essaie de l'amener sur un terrain rationnel - en espagnol  s'il vous plaît - dissertant sur responsabilité et légalité, prenant des exemples absurdes du style : " mais si j'écrase un enfant : Qui va en porter la responsabilité ? l'innocent dont le nom figure sur votre putain de carte verte ou bien moi ? ". Rien à faire. Nous nous avouons vaincus par le flegme sans faille du douanier argentin.

Et maintenant qu'est ce qu'on fait ? On se renseigne pour savoir si nous pouvons laisser la voiture ici, prendre un bus et la reprendre au retour. Impossible nous répond un carabinier chilien au visage rond, nous devons faire demi-tour, traverser le tunnel et après, c'est nos oignons… Sachant que la place de parking la plus proche est à 80 km de là, qu'il est déjà 16h15 et que la frontière ferme à 19h00, nous n'avons mathématiquement pas le temps de laisser la voiture et de prendre le dernier bus.

C'est alors que l'absurde intervient dans notre histoire. Nous avons sur notre passeport le tampon de sortie d'Argentine …et il nous est impossible d'obtenir celui d'entrée au Chili. Nous voici donc bloqués dans l'entre-deux, le cul entre deux chaises. Le douanier argentin est dubitatif. Nous lui demandons s'il nous est possible de passer la douane chilienne puis de faire demi-tour et re-belote. Ainsi cela me permettrait au moins de renouveler mon visa. A défaut de l'agréable, nous essayons de sauver l'utile. Pas de problème pour lui (l'Etat argentin personnifié) nous dit-il. Et nous, de nouveau devant un guichet, avec un petit drapeau chilien, expliquant notre cas à une douanière compatissante qui, après en avoir référé à son chef, nous appose un joli tampon bicolore d'entrée sur le territoire chilien.

Enervés, déçus, nous faisons demi-tour, à contresens sur une centaine de mètres (notre cas n'était visiblement pas prévu dans le manuel du parfait petit douanier !), nous retraversons le tunnel et nous revoici faisant les papiers pour rentrer à nouveau dans notre beau pays d'adoption au terme d'une visite de 2h30 passée à la douane chilienne. Les douaniers, dépassés par la situation, apposent le quatrième tampon en quelques heures sur nos passeports et laissent entrer une voiture qui n'est officiellement jamais sortie, sans ciller.

Et maintenant, qu'est ce qu'on fait ? Nous préférons tourner la sombre page de nos vacances chiliennes pour profiter des deux jours qui nous restent pour nous balader dans le parc de l'Aconcagua. Nous y avons découvert une station de train abandonnée, à plus de 3200 mètres d'altitude qui porte le nom fabuleux de Mundo Perdido. Nous avons aussi visité le cimetière des andinistes, un rocher au milieu de nulle part sur lequel sont posées des plaques commémoratives aux noms d'andinistes de toutes nationalités disparus dans le massif de l'Aconcagua et quelques croix pour les chanceux dont on a retrouvé les corps. En redescendant, nous avons dormi à Uspallata, un oasis planté d'arbres centenaires. Le soir, nous avons découvert un bar nommé Tibet bar aux lumières tamisées construit selon l'architecture des temples bouddhistes. Aux murs des photos du Népal, du Ladakh, du Mustang et d'autres vallées himalayennes me ramenant à un précédent voyage. Des tambours de prière, de cuivre massif, complètent ce décor surréaliste. Un maître tibétain serait-il installé sur cet autre toit du monde ? Non mais… Brad Pitt si, lors du tournage de Sept ans au Tibet qui a été tourné dans la vallée.

Le lendemain, nous avons pris, pour rejoindre Mendoza, un chemin de terre qui conduisait à la station thermale de Villavicencio. De lourds nuages emplissaient le ciel. En descendant, nous sommes entrés dans une brume qui ne nous a plus quitté et la température qui le vendredi était de 33°C a dégringolé à 8°C. D'été, nous sommes passés à l'hiver ! Grrrrrrrrrrrr


San Rafael, Mendoza, mai 2003

Jérome Bar



Au service de la photographie depuis 2001