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L'avant-garde parisienne

L'avant-garde parisienne


Par : Alain Rio


L'avant-garde parisienne


Après avoir proposé trois chroniques d'un certain exotisme pour le lecteur français, cette fois-ci, dans les méandres de la liberté que m'offre le vaste domaine de l'histoire de cet art pictural qu'est la photographie et aussi www.photophiles.com, je me permets un retour aux sources.

L'une des raisons de ce choix est éminemment personnel : le hasard veut que pour la première fois depuis que je m'adonne au plaisir de prendre des clichés, j'expose un reportage en France, dans le cadre du mois de la photo à Auxerre, du 8 mai au 30 juin. Une manière symbolique en quelque sorte de me rappeler d'où je viens, de ces terres bourguignonnes d'où émanent des saveurs, des couleurs, des amitiés qui alimentent mon imagination d'exilé. Ce petit événement fortuit m'a rappelé que la France, à diverses reprises, a joué un rôle de tout premier ordre dans le monde de la photographie. Et en feuilletant l'un des ouvrages qui ornent ma modeste bibliothèque, " FRENCH PHOTOGRAPHY FROM ITS ORIGINS TO THE PRESENT " de Claude Nori (édition Pantheon) je découvrais, les yeux écarquillés, l'impact qu'a eu en son temps et pour la suite ce qu'on a appelé " l'avant-garde parisienne ".

photographieDepuis lors, j'accumule quelques informations et vous suggère, par cette esquisse rédigée de notre petit " patio " de notre maison de Hermosillo au nord du Sonora mexicain - alors qu'un colibri a découvert ce matin même les quelques fleurs qui m'entourent et décidé de les butiner et de me distraire agréablement - de vous pencher sur un aspect important de ce que fut la photographie à Paris dans les deux décennies qui ont suivi la première guerre mondiale. Bruno Chalifour, photographe, critique et professeur à New-York, mais aussi chroniqueur à www.photophiles.com me rappelait, non sans humour, qu'écrire quelque chose sur l'avant-garde parisienne depuis Hermosillo relevait du défi. J'espère seulement qu'il s'agit bien d'un défi et non d'une opération suicidaire…

 

De manière préliminaire à cette étude, même si je mesure le caractère approximatif de cette mise en scène, il est nécessaire de rappeler le cadre : qu'était ce Paris des années 20 au lendemain d'une guerre des plus effroyables qui avait laissé bien des traumatismes, mais aussi peut-être paradoxalement, créé des synergies particulières propices au développement d'une grande vie culturelle ?

Après avoir connu les plus grandes horreurs, un mouvement d'optimisme s'empare de la bourgeoisie, des artistes, de l'intelligentsia, et même certainement des classes populaires. On a vécu le pire, cette guerre a été la " der des der ", maintenant il faut songer à construire un monde meilleur et le développement industriel va être d'un grand apport. Paris, jouissant de surcroît d'une belle auréole depuis la révolution de 1789, attire rapidement un grand nombre d'artistes dont des photographes étrangers qui vont immortaliser à jamais avec leurs images ces brumes, ces voyous, ces filles de joie, ces boulevards, ces artistes qui aujourd'hui encore font venir à Paris des promeneurs du monde entier.

Dans ces mouvances, apparaît l'avant-garde dont beaucoup se sont inspirés, parmi lesquels le maître incontestable de la photographie Mexicaine Manuel Alvarez Bravo, pour n'en citer qu'un.


photographieL'avant-garde n'est pas à proprement parler un mouvement formel. Elle regroupe une diversité d'artistes qui s'expriment dans de nombreux domaines, de sorte que l'analyse ou l'approche en est rendue difficile. Définir des thèmes redondants, des techniques propres à ce mouvement relève de la haute-voltige. Au risque de me casser les dents, je dirai que les artistes de cette époque, qui peuvent être classifiés comme avant-gardistes, ont pour caractéristique d'intégrer dans leurs créations le lyrisme ou la froide réalité d'une société où l'urbanisation prend un nouvel essor. Aussi, peut-on supposer à la lueur de ce qu'on apprend sur " l'école de Paris ", très influente sur ce mouvement, qu'on s'éloigne des formes traditionnelles de la conception ou de la représentation des choses et du monde. " L'école de Paris " n'est pas une institution formelle mais plutôt un mouvement d'art ayant pris place à Paris dans les années 20 jusqu'à l'occupation allemande sous la deuxième guerre mondiale. Philosophiquement, éthiquement et politiquement avec beaucoup de sympathies à gauche, dans la dernière de ses trois périodes qui correspond à l'occupation, elle sera aussi un centre de résistance à l'art que le gouvernement de Vichy voudra imposer et qui ne fera que répercuter les consignes d'Hitler et sa notion d'art " dégénéré ".

photographieLa photographie joue un grand rôle dans l'avant-garde. Les mouvements précurseurs sont l'avant-garde russe, puis le Bauhaus et le futurisme italien, en France on a les impressionnistes, le cubisme, les fauves, le dadaïsme (importé) et finalement le surréalisme. Aussi, alors qu'elle ne cesse de se démocratiser depuis la fin du 19ème siècle (souvenons-nous par exemple du slogan publicitaire de Kodak très évocateur : " appuyez sur le bouton, nous faisons le reste ") le nombre d'amateurs plus ou moins éclairés augmente-t-il, lui aussi, et certains seront même inscrits dans l'Histoire en caractères gras soulignés. Le premier à mentionner, me semble-t-il, même s'il se professionnalise, est Eugène Atget (1857-1927), qui en France, peut-être sans le savoir, contribuera à une nouvelle approche de la photographie de " l'école de Paris ". Ce marin inscrit au conservatoire d'art dramatique est un peintre raté reconverti en photographe ambulant qui n'a de cesse d'arpenter les rues de Paris avec un matériel déjà démodé, mais ses sujets, cadrages et points de vue annoncent une vision entièrement nouvelle. Il fera d'ailleurs plus d'émules aux US et en Allemagne, surtout dans les années 70 même si les  Newhall, Adams, Weston et Evans le connaissent déjà. C'est en fait Abbott, une américaine, qui assure son patrimoine artistique. Durant presque trente années, focalisant surtout son objectif sur les dégâts et les destructions de la politique d'Haussmann, Atget va répertorier les ruelles, hôtels particuliers, les " no man's land " où s'installent les laissés-pour-compte du progrès, privilégiant la lumière naturelle du petit matin. Les surréalistes ne s'y trompent pas : ils discernent dans le travail de cet artiste incompris de quoi alimenter leurs allégories.


photographieDes étrangers arrivés à Paris, je ne citerai de manière discriminatoire que quelques grands noms de la photographie : Man Ray venu de New-York à Paris dès 1921 à la suite de Marcel Duchamp, dada New-yorkais. Ensuite débarqueront Bérénice Abbot elle aussi américaine, André Kertész et Brassaï qui fuient la misère en Hongrie, Billy Brandt qui fait un passage remarqué à Paris avant de revenir en Angleterre, Germaine Krull, Gisèle Freund et Robert Capa en fuite face au fascisme montant dans leurs pays. Paris, espace privilégié pour la circulation des idées, sera aussi pour ces photographes un marché suffisamment riche pour qu'ils y trouvent de quoi assouvir leurs exigences artistiques et aussi économiques.

Parmi les influences drainées par ces étrangers, même si le surréalisme joue un rôle majeur, j'aimerais mentionner celle du Bauhaus. Cette école allemande fondée par Gropius en 1919 étend ses recherches à tous les arts majeurs appliqués en vue de les intégrer à l'architecture. La qualité et le renom de ses formateurs (Johannes Itten en particulier), la discipline presque monacale qui y est appliquée et le constructivisme qui est au cœur de son enseignement marqueront les esprits les plus avant-coureurs parmi les photographes. Déclarée " anti-germanique " et " dégénérée " par le gouvernement nazi, l'institution doit finalement fermer ses portes en 1933. Si la plupart de ses adeptes iront s'installer à Chicago pour former le " new Bauhaus ", l'onde de choc atteindra sans conteste Paris.

photographieToutes ces mouvances, tous ces échanges, la qualité inventive des photographes (la solarisation pratiquée par Man Ray par exemple), le formidable relais des magazines (MARIANNE, VU, VOILA, L'ART VIVANT, VOGUE, REGARDS, MINOTAURE, et les ouvrages édités par les très prestigieux ARTS ET METIERS GRAPHIQUES) feront de Paris la capitale de la photographie au niveau mondial. Cette suprématie sera d'ailleurs affirmée à la grande exposition internationale organisée par Beaumont Newhall au musée d'art moderne de New-York en 1937 : près de la moitié des 77 photographes exposants vivent et travaillent à Paris ! Cependant, il est à noter que Newhall, du fait de sa francophilie se limite aux US, à l'Angleterre et à la France (un peu à l'Allemagne). Il ignore l'avant garde russe, le Bauhaus, AIZ/ Haertfield, le futurisme italien, la photo Tchèque…

Ne croyez surtout pas que les photographes de nationalité française ne sont pas dans le feu de l'action. Laure Albin-Guillot, Maurice Tabard, René Jacques sont d'excellents représentants.

Dans l'euphorie du moment, Carlo Rim, alors photomonteur et rédacteur en chef de " Vu " en arrive à affirmer que " la photographie a été inventée deux fois. D'abord par Niépce et Daguerre, il y a environ un siècle, ensuite par nous " (" les jeux de l'amour et du hasard ", l'Art vivant, nov. 1930 p.870).


Pour caractériser l'apport dans le style et les techniques photographiques utilisées par les photographes de l'avant-garde parisienne, je préfère laisser la main à Françoise Denoyelle et Gérard Le Cadet dont l'article intitulé " de Lartigue à Man Ray " pour le compte de la SCEREN m'a fortement servi pour l'élaboration de cette chronique. Je cite en page 15 : "… Leur pratique s'inscrit dans les marchés émergents que suscitent la presse, la mode et la publicité. La nouveauté des secteurs laisse aux photographes une grande liberté qu'irriguent les différents courants artistiques et littéraires. Les thèmes et sujets liés à la modernité, comme l'urbanisation, le développement du machinisme, les transports, l'architecture métallique, la ville réelle, sont explorés, point d'ancrage constant de nouvelles recherches. Des approches stylistiques s'affirment : à la vision frontale héritée du XIXe siècle s'ajoutent de nouveaux angles de prise de vue en plongée, contre-plongée, diagonale. La fragmentation du sujet et de l'objet, la déconstruction de l'espace, la vision très rapprochée, les effets de raccourci participent à une volonté d'appréhender un nouveau rapport au sujet. L'appareil photographique est basculé, orienté, manipulé pour ajuster une vision optique à une dimension esthétique. Parallèlement, des interventions et des manipulations sont entreprises sur le négatif et le positif. La solarisation, la superposition, le brûlage, le photomontage ouvrent de nouvelles voies, témoignent du bouillonnement et de l'abondance des recherches… ".


L'avant-garde se distingue donc sensiblement des deux autres courants naissant à l'époque, l'un vite discrédité appelé " le groupe du rectangle ", et l'autre qui jouira d'une grande notoriété et reconnaissance : les photographes humanistes.

 - Le groupe du rectangle qui s'inspire du groupe américain appelé " f 64 " en référence à la plus petite ouverture utilisable utilisé par leurs représentants (Edward Weston en est l'icône), revendique un retour à l'équilibre classique et à la tradition. Ce mouvement assez éphémère fondé par Emmanuel Sougez, René Servant et Pierre Adam valorise la qualité formelle, la parfaite maîtrise technique et la rigueur du métier. Pour résumer, il s'agit d'une réaction et d'un retour à l'ordre face à ce qui est considéré par ses membres comme un excès du surréalisme et de la nouvelle objectivité.

 - L'autre courant de l'époque s'inscrit dans le reportage humaniste où Marcel Bovis, Robert Doisneau et Willy Ronis, Henri Cartier-Bresson et Kertész font alors figure de proue. Je vous renvoie pour ceci aux archives de l'histoire de la photographie de www.photophiles.com.  L'homme dans sa quotidienneté y est valorisé dans une vision à la fois réaliste, idéalisée et aussi poétique.

 - Il existe un pont entre les humanistes et les avant-gardistes assez facilement franchissable. Ainsi, par exemple, Brassaï et Germaine Krull effectueront certains reportages sur la zone et les mendiants. Et bien évidemment André Kertész !


J'achève l'écriture de cette chronique dix jours plus tard les yeux rivés sur l'écran de mes nuits blanches, comme dirait Nougaro, après une parenthèse canadienne de 6 jours et quelques notes supplémentaires prises sur la terrasse d'un Bed and Breakfast dans la région de Vancouver. Un autre colibri est venu m'accompagner dans mes rêveries et réflexions sur l'avant-garde parisienne. Celui-ci, un mâle d'un rouge orangé très vif, fit exploser mon imagination.

Les époques changent, n'est-ce pas ? Cette industrialisation qui fascinait, stimulait tant les photographes d'avant-garde, cette industrialisation est arrivée certainement à un certain point de saturation pour le mieux.  De sorte que maintenant, avec un soupçon de bon sens, le modeste photographe en herbe que je suis en est à chercher à capter ce qui reste de cet univers moins terni par ces industries, tours, nuages de produits toxiques, ou au contraire, à montrer la monstruosité de ce que nous autres imposons souvent à nos pairs humains, à nos enfants et aux espèces encore survivantes.

Se mêlent dans ma mémoire ces panoramas de terres traversées au gré de mes pérégrinations et ces images florissantes des années 20 et 30 à Paris. Et j'essaie de trouver un lien, une logique à toutes ces transformations. L'avant-garde a accompagné une époque, incontestablement, et laissé une empreinte indélébile peut-être nostalgique dans tous nos esprits. Presque un siècle plus tard, nous tous qui prenons des images, devons sans aucun doute une reconnaissance aux portes ouvertes par les avant-gardistes de Paris. Un peu comme ce que la poésie doit à Victor Hugo…

Aussi, je crois, devons-nous réfléchir sur cette même industrialisation et mesurer ce qu'elle implique aujourd'hui, dans sa variété et sa diversité pour nous-mêmes et les générations futures. Et quelle doit être notre position à nous autres proposant des images face au monde qui nous entoure ?… Mais il s'agit là d'un autre débat qui excède le thème que je m'étais fixé. J'espère que vous me pardonnerez ce dérapage final...


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Chronique par Alain RIO
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