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Les yeux dans le monde

Les yeux dans le monde

www.lesyeuxdanslemonde.org

Le collectif de photographes et cinéastes documentaristes "Les yeux dans le monde" présente les travaux de ses membres sur son site. Nous sommes allés à leur rencontre et c'est collectivement aussi qu'ils ont bien voulu répondre à nos questions.

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Votre association "Les yeux dans le monde" a pour objectif "d'allier information et expression artistique" pouvez-vous nous expliquer ce concept?

Le constat initial est simple et bien connu. Nous sommes en permanence confrontés à des images venues du monde entier. Situation dont nous ne mesurons pas toujours les nombreuses conséquences sur notre appréhension de ce monde : entre autres, illusion d'une connaissance «globale» et précise, d'une vision pan-optique exacte… Bien sûr, le traitement de l'information n'est jamais neutre, pas plus que sa diffusion. Alors nous préférons parler de «regard», de «point de vue», de «parole». Allier information et création artistique, n'est certainement pas mélanger ni confondre les deux, mais les faire « travailler » (dans le sens où le bois « travaille ») : essayer de faire en sorte qu'une photographie, un film, un dessin, un texte ne donnent pas l'impression d`«afficher» ou de «communiquer» une donnée à enregistrer et à classer telle quelle dans nos archives mémoriales ; il faut —là est la création—  que l'image pousse celui qui la regarde à questionner son propre mode «d'enregistrement» du monde et ses «catégories» de classification. Ne pas oublier que la part informative, ou décrivante de l'image, est le résultat d'une construction, plus ou moins élaborée, plus ou moins consciente.

L'ambition de l'association est donc d'offrir cette diversité de regards engagés dans le réel, tout en permettant la mise en relation d´expériences, de réflexions et d'aspirations.

Organisé chaque année début juin, le festival ItinErrance offre dans cette perspective quatre jours pour croiser ces chemins, quatre jours pendant lesquels les découvertes, les rencontres et les débats ont une réelle chance d´exister. Un temps de convergence qui contribue à développer des réseaux d'information et de création alternatifs (dissidents s'il le faut).

Quel est le profil des membres de votre collectif ?

Point de convergence Les Yeux dans le monde veulent constituer un carrefour, une croisée de chemins et de pratiques divers (photographie et cinéma, reportages dessinés, sciences humaines,...) autour d'une même passion : le documentaire. Quelque soit notre médium de prédilection, nous convergeons vers cette discipline charnière, où la création et la vie se rejoignent dans une exigence de fidélité. Fidélité à l'autre et à sa manière d'être au monde, ici ou ailleurs. Si cette exploration du sensible diverge forcément du fait de la nature de nos moyens d'appréhension, l'un des dénominateurs communs aux Yeux dans le Monde est de prendre le temps. Le temps de cheminer avec son sujet, à ses côtés. Cheminement temporel autant que spatial donc, au cours duquel peut s´instaurer un dialogue, une démarche exploratoire. Prendre le temps d'arpenter le monde pour l'interroger en ses interstices, prendre le temps de s'extirper de sentiments premiers.

Vous publiez plusieurs reportages sur la Birmanie réalisés par Manon Ott & Grégory Cohen. Dans quelles conditions ont été réalisés ses reportages ?

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[Réponse de Manon Ott & Grégory Cohen]
Nous nous sommes en effet rendus six fois en Birmanie et avons passé 6 mois sur la frontière birmano-thaïlandaise entre 2003 et 2007 afin de réaliser des entretiens et un documentaire photographique sur le quotidien des birmans sous cette dictature.

Tout travail d’enquête en Birmanie est difficile à réaliser compte tenu de tous les efforts que la junte militaire birmane déploie pour masquer les dommages de plus de quarante années de dictature. Ce travail est d’autant plus compliqué lorsqu’il s’agit de faire des images. Les visas de journalistes pour entrer dans le pays sont délivrés au compte-goutte et à condition bien sûr d’éviter tout sujet qui fâche. Cette solution oblige en plus à séjourner dans le pays en compagnie d’un guide officiel. Cependant avec la montée du tourisme, il est devenu plus facile de se fondre dans la masse d’étrangers qui ne manquent pas de voyager avec leur caméra ou appareil photo. C’est pourquoi chaque fois que nous nous sommes rendus sur place (avec un visa touristique) nous avons veillé à cultiver une allure de « back-packer ».

Une fois en Birmanie, la main mise de la junte militaire sur la population n’est pas forcément perceptible au premier abord. Il n’y a pas d’« esthétique totalitaire » comme il peut y en avoir en Corée du Nord. Et d’une certaine manière, depuis 45 ans, la pression du régime militaire sur la population est si forte, qu’il n’est même plus utile de placer des soldats à chaque coin de rue. Ce qui nous est apparu, c’est un pays où les gens vivent dans le silence avec un sentiment de peur quotidien. A l’époque du Général Khin Nyunt (jusqu’en 2004), les services de renseignements militaires étaient très organisés. Habillés « en civil », ceux que les birmans appellent les M.I (Military Intelligence) étaient partout - dans chaque bar à thé, dans chaque hôtel et même dans chaque pagode, dit-on.

En dehors des périodes de crises comme les récentes manifestations de septembre, les militaires essaient plutôt de rester en retrait car depuis que le pays s’est ouvert au tourisme, tout est fait pour donner l’illusion d’un décor de « Golden Land ».  De plus, un certain nombre de régions et de lieux sont « interdits ». Il s’agit aussi bien des « zones de conflits » (régions où vivent des minorités ethniques), des abords de la maison d’Aung San Suu Kyi que de bidonvilles aux alentours de Rangoon. C’est pourquoi il n’est pas évident de saisir en photo même des interstices qui laisseraient entrevoir une réalité différente. Dans notre travail, nous avons parfois cherché avec des birmans des moyens plus « créatifs » pour essayer d’interpréter ce que ça peut vouloir dire que « vivre dans le silence ».

À côté de notre documentaire photographique, nous nous sommes attachés à récolter des récits de vie d’écrivains, de journalistes, d’artistes et de gens ordinaires. Au travers de ces témoignages, nous voulions aussi mettre en avant le fait que malgré ce rapport de force inégal et loin de rester dans la passivité face à l’oppression de la junte militaire, une résistance « déguisée » s’organise chaque jour.

Lorsque nous rencontrions des personnes qui acceptaient de témoigner, il fallait donc prendre beaucoup de précautions. Nous tentions d’éviter les lieux publics qui ne permettaient pas de parler sans être écouté, ne parlions jamais par téléphone, ne gardions pas de contacts sur nous et ne marquions aucun nom sur nos carnets de notes. Nous avons parfois été suivis. Toutefois cela n’a jamais eu de conséquences.

Il est arrivé que des journalistes soient fouillés, perquisitionnés à leur hôtel ou que leur matériel soit confisqué. Au pire, ils sont raccompagnés à l’aéroport et expulsés. La junte tient une « black list » de toutes les personnes interdites d’entrée sur le territoire. En revanche, les birmans qui exposent des « points de vue négatifs » sur leur pays risquent la torture et plusieurs années de prison.

Damien Roudeau, membre du collectif, publie d'originaux reportages dessinés. Se sent-il en décalage par rapport aux médias utilisés par les autres auteurs du collectif (photographes ou cinéastes) ?

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[Réponse de Damien Roudeau]
Tout comme le film, le carnet de croquis peut lui aussi devenir l'endroit de ce dialogue particulier au monde. Objet par nature mobile, le carnet devient, par le feuilletage même de ses pages, mouvement, cheminement, narration parfois... Puis, comme pour le film ou la photo, vient le temps second du montage, où vont s'organiser mots et dessins glanés en vue de l'édition.

Une fois imprimé, le carnet devient autre, il n'est plus ce seul palimpseste chronologique de traces et signes divers. On trie, on tisse, on construit le récit, on établit un "chemin de fer", terme qui désigne dans le jargon de l'édition cette vision d'ensemble de chacune des pages composant l'ouvrage. Ce chemin de fer que nous avons pris pour emblème du second festival ItinErrance, car c'est à travers lui que le déplacement, l'errance, peut devenir itinéraire et faire histoire.

Le voyage commence souvent par une rencontre, un visage qui sert de déclencheur. Il nous pose des questions, et on tente de mettre en images ces interrogations. Il y aurait voyage dès que l´on plonge dans l´inconnu, et s´il existe un fil conducteur entre mes carnets, c´est bien le désir de s´intégrer, pour les comprendre, à des mondes clos, ou nécessitant une initiation. Le dessin devient alors un outil privilégié de compréhension d´univers méconnus, le mystère étant souvent source de fantasmes, de rejet et parfois de peurs (groupes de sans logis, communauté Emmaüs, rave parties, squats...). J´essaie de porter un regard autre sur des gens qui ont fait le choix, ou se sont résignés, à un mode de vie différent.

L'atout du dessin est, pour ce type de projets, peut-être lié d´abord à la peur de l´irréfutabilité de la photo. Dessin et peinture sont forcément subjectifs, donc imparfaits, susceptibles de retouches... on tolère alors peut-être plus facilement dans certains contextes la présence d'un dessinateur que celle d'un photographe, comme si le premier préservait une part de secret. Le dessin reste un médium valorisateur, entouré d´une aura presque sacrée (on a une réticence un peu superstitieuse à le détruire).

Car le portrait dessiné manifeste d'abord la résistance de l´homme contre l´image de masse : le dessin est unique, mais il est aussi un temps partagé, où on griffonne, on recommence... c´est aussi un temps propice aux confidences et à l´entrée en relation.

Mais je crois que les travaux des différents membres des Yeux prouvent qu'il s'agit là moins d'une histoire de médium que de regard : l'appareil photo ou la caméra n'induisent pas mécaniquement une attitude de prédation. Il s'agit d'abord d'être engagé, de manière très concrète : simplement être au coeur de l´événement, à la bonne proximité de nos sujets.

Pouvez-vous nous parler des projets à venir de l'association, livres, expos, ...etc.?

Comme chaque année, aux alentours du mois de juin, le festival Itinerrance se tiendra aux Voûtes (75013), - un festival autour des thèmes de l’exil et des migrations qui présente une diversité de regards au travers de films documentaires, d’expos photo et dessin, d’installations et performances, de pièces de théâtre et de concerts… Ce festival, depuis son commencement, se veut avant tout un espace de rencontres et de débats.

Tout au long de l’année, nous organisons des projections et des expositions. Les personnes souhaitant être tenues informées de cette programmation peuvent s’inscrire à notre newsletter via le site internet.

Et actuellement, chacun des membres du collectif a plusieurs projets en cours : un livre de photographies sur la Birmanie; l’édition d'un ouvrage collectif réunissant des croquis et témoignages d'habitants d'un quartier en reconstruction; un livre-cd intitulé « Chanteurs de rail » sur les musiciens du métro parisien, un film documentaire sur la question des populations déplacées par les grands barrages en Inde, et de nombreuses expositions dont celle issue du livre « Barentin, 76 rue Auguste Badin », une exposition suivie d’une édition d'un récit illustré sur la grève des ouvrières de l'usine Ampafrance à Cholet en janvier 2007 (dans le cadre du festival de la bande dessinée engagée à Cholet.)

Ressources web :

Le collectif Les yeux dans le monde
www.lesyeuxdanslemonde.org


Chronique par Frédéric Brizaud

Site : www.photophiles.com
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Au service de la photographie depuis 2001