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Lucien Hervé

 

 

photographie« Je m’intéresse aux rapports humains. Je photographie lorsque je sens une injustice contre l’homme ou lorsque celui-ci se retrouve seul contre son entourage » .Lucien Hervé


BIOGRAPHIE DE LUCIEN HERVÉ

par Roland Quilici

Lucien Hervé, est un photographe français, de son nom d’origine hongroise, László Elkán.
Il est né le 7 août 1910 à Hódmezovásárhely, Hongrie, dans une famille juive, fils de Lajos Elkán, négociant en cuir, et de Nelly Ritscher.
Il a un frère aîné, Rodolf et une soeur, prénommée Edith.. Il reste surtout connu pour ses photographies d'architecture,mais il a  également exploré d’autres genres.

En 1918, il déménage avec sa famille à Budapest et commence des études musicales. Son père décède le 3 mars 1920. Le jeune Lázló souhaite alors devenir pianiste. En 1923 ,il commence à pratiquer la lutte gréco-romaine et beaucoup d’autres sports. Après son bac, il part à Vienne en 1928, pour y étudier  le commerce et l’économie à l'université, sa mère, trouvant que la musique n’est pas une activitée honorable pour gagner sa vie. À Vienne, il découvre l’avant garde artistique, et suit des cours de dessin aux Beaux Arts. Après une année, il rejoint son frère aîné, à Paris, durant l’été 1928 (comme beaucoup d'autres hongrois alors tels Robert Capa, Brassaï, Kertész...). Il  se passionne pour l’art et fréquente assidument les musée avant de regagner Budapest.

De retour à Paris en février 1929, il travaille quelques mois comme employé de banque, puis comme peintre-affichiste de cinéma, et même critique d'art. Il s’achète son premier appareil photo, un Zeiss Ikon, en 1930, qu’il utilise en amateur. Il prend sa première photographie, face à un miroir, un autoportrait dans la chambre de l’hôtel de la rue du fbg Poissonnière. Plus tard il remplace son cousin parti en Espagne et photographie pour le magazine Marianne. Il  a comme sujets imposés le Dernier fiacre à Paris ou la Famille la plus prolifique de France. Il photographie la tour Eiffel à l’occasion du quarantième anniversaire du monument. Il en fait de très nombreux clichés, qui lui permettent d’affirmer son style. En 1932, sa formation artistique lui permet de devenir représentant de modéliste puis modéliste pour les maisons de haute couture : Jean Patou, Rochas, Schiaparelli, Lelong, Paquin, Worth, Lanvin , et Chanel.

"Lucien Hervé avait un très grand sens de la justice sociale dès son jeune âge qu’il a conduit après en France à adhérer au parti communiste et à la CGT où il a occupé diverses responsabilités. Après son exclusion du parti communiste, il est resté fidèle à ses idées marxistes et socialistes guidé par une profonde humanité et générosité". (Judith Hervé, veuve de l'artiste)

Ses activités syndicales et politiques lui font délaisser l’univers de la mode. En 1934 il adhère au Parti Communiste Français.
Il vit alors avec Fernande Lacroix qui est vendeuse chez le couturier Jean Patou.

«Quand il organise une grève dans le milieu de la Haute Couture, cela lui fait perdre son travail.» *

1935 il est élu secrétaire général de l'union des syndicats du VIII ème arrondissement de Paris.
En 1937, il  obtient la nationalité française, par naturalisation.
1938, il est exclu du parti communiste français.

Ses photographies sont empreintes de l’influence du cinéma expressionniste allemand et de l'avant-garde russe, notamment de S. M. Eisenstein, de Dziga Vertov, W Pabst, ou de Jean Vigo. La peinture  a aussi surement influencé son oeuvre. Les cubistes, Picasso, Goya, Rembrandt et Hokusai ainsi que Jean Fautrier et Nicolas de Staël, sans oublier Mondrian dont il a fait reproduire un tableau sur le plafond de l’appartement de la rue Vineuse, qu’il habitera. Il commence,à travailler avec Nicolas Müller un photographe hongrois dont il est le cousin, et rédige les textes des reportages photographiés par ce dernier pour Marianne Magazine. Nicolas Müller décide d’émigrer vers l’Espagne après les accords de Munich en septembre 1938. Ne voulant pas perdre son emploi, Lucien Hervé continue seul, et s'improvise photojournaliste, mais ces photos continuent de paraître sous le nom de Müller. Il dit :«Je trouvais les tirages de mes confrères trop mous. J'ai préféré utiliser le papier le plus dur, du numéro 5
Appelé sous les drapeaux, il est affecté au cinquième régiment d’infanterie où il exerce en qualité de photographe pour l'armée sous les ordres du colonel De Lattre de Tassigny. Il photographie la vie de la caserne et publie ce sujet dans le magazine Vu. Le 4 juin 1940, il est fait prisonnier sur la plage de Dunkerque et envoyé en Prusse orientale, au camp de Hohenstein.
Il redécouvre la peinture en captivité. Il s’évade du stalag en septembre et rejoint l’armée secrète à Grenoble, avant de prendre part au maquis du Vercors. Durant ces trois années (1942-45), on lui attribue le pseudonyme de combat de Lucien Hervé, nom qu'il décide de garder ensuite pour le restant de son existence.

En 1943, il réintègre le PCF clandestin et est appelé à Paris pour participer à la direction clandestine du MNPGD (Mouvement National des Prisonniers de Guerre et des Déportés). En 1947, il est à nouveau exclu du PCF et, cette année là, rencontre Judith Molnar qui l’encourage à reprendre la photographie. Il réalise «PSQF»–Paris sans quitter ma fenêtre–, des photos noir et blanc, faites depuis le studio qu’il occupe au 7e étage du 31de  l'avenue Paul-Adam dans le XVIIe arrondissement. Il se refuse à traiter des sujets politiques et se consacre à des sujets artistiques pour diverses publications dont France Illustrations, Point de Vue, Regards, ou le magazine anglais Lilliput.

Après la libération, en 1948,il expose ses peintures à Budapest et à Paris. En 1949, il fait la connaissance du révérend Père Marie Couturier, un prêtre Dominicain, qui est le directeur de la revue l’Art Sacré.. Ce dernier le présente à Matisse, ce qui lui donne l’occasion de faire un portrait du peintre, à l'hôtel Régina. C’est le père Couturier qui l’encourage également à aller faire des photos du chantier d’unité d’habitation de Charles-Édouard Jeanneret-Gris, un architecte Suisse célèbre plus connu sous le pseudonyme de Le Corbusier (né  en 1887, et décédé le 27 août 1965 à Roquebrune-Cap-Martin). Après avoir reçu, un refus par le rédacteur de France Illustration, Lucien Hervé obtient de travailler pour une autre revue. Le photographe visite Marseille. Il y expose les 650 photos en noir et blanc, qu’il a faite du chantier de l’unité d’habitation de Le Corbusier, fin novembre. Lorsqu’il  propose ses clichés à différents magazines, personne ne les lui achète. Il déclare au journal Le Monde, en 1999:« Quand il les a vues, le directeur du magazine Réalités m'a traité d'imbécile ».* Lorsque Lucien Hervé est envoyé photographier la Nouvelle Unité d’Habitation de Le Corbusier à Marseille, pour la revue Plaisir de France, il emmène son Rolleiflex. Sans une chambre photographique, seul appareil photographique capable de redresser les perspectives et pouvant être muni d’un grand angulaire pour effectuer une vue d’ensemble du bâtiment, il lui est impossible d'obéir aux critères en vogue à l’époque pour réaliser des images conformes à celles de ses confrères. Dès lors, il remet en cause la géométrie, et s’interdit la possibilité de faire une prise de vue d’ensemble du bâtiment. On pourrait dire, qu’il utilise son oeil de peintre, à défaut d’appliquer les usages de la spécialité. Il joue alors sur la lumière et le contraste entre les différentes formes, et décide de prendre des détails en plongée ou en contre plongée contrairement à une prise de vue technique traditionnelle. Au final, aucune des planches contacts qu’il présente n’est retenue par les magazines.

La collaboration entre Lucien Hervé et Le Corbusier sera marquante à plus d’un titre, puisqu’avec son style il tourne le dos à une photographie documentaire technique et descriptive pour passer à une photographie qui présente une vision d’artiste. Sans y avoir été invité, il présente ses photographies à l’architecte qui, par une lettre le jour même, lui exprime les affinités décelées dans son travail photographique. L’architecte lui répond:

« Cher Monsieur
J’ai examiné le lot important de photographies. Je tiens à vous faire mes plus sincères compliments sur votre travail remarquable.Vous avez une âme d’architecte et vous savez voir l’architecture
».

En 1950, il devient  effectivement son photographe attitré de Le Corbusier jusqu'à la mort de ce dernier en 1965.
C'est aussi l'époque où il  commence à utiliser un Leica (appareil télémètrique employant du film 35 mm) pour faire des vues en couleur. Il se marie avec Judith Molnar le 3 novembre de cette même année.

Sa première exposition de photographie, intitulée «Une ville, deux architectures» a lieu à Milan à la galerie Domus, en 1951. De 1950 à 1965, Lucien Hervé photographie régulièrement pour Le Corbusier et parallèlement pour de nombreux autres architectes dont Oscar Niemeyer, Alvar Aalto, Marcel Breuer, Richard Neutra, Walter Gropius,  Kenzo Tange, Aulis Blomstedt, Bernard Zehrfuss, Jean Balladur, Georges Candilis, Henri Pingusson, Michel Écochard , ainsi que pour Jean Prouvé. En1955, il accompagne Le Corbusier à Chandigarh et photographie aussi Ahmedabad.

Le 2 mai1957 voit la naissance de son fils Rodolp, à qui il transmet sa passion de la photographie.
En1959 Il photographie le palais de l’Escorial et l’architecture populaire méditerranéenne en Espagne pour la réalisation de deux livres qui ne seront jamais publiés. Deux ans plus tard li fait un deuxième voyage à Chandigarh et en Inde. Il profite des contrats avec la Fédération Française d’Électricité, la revue « Architecture d’Aujourd’hui » et les « Éditions Gallimard » pour parcourir le monde : Japon, Cambodge, Sri Lanka, Turquie, Grèce, Crète, USA, Mexique, Pérou et Brésil.

1962, il est  chargé par la direction de l’institut français d’archéologie au Moyen-Orient de photographier des sites archéologiques en Syrie, au Liban et en Iran. De 1966 à 1970, il réalise des collages en utilisant souvent ses photographies. Il continue ses recherches sur l’abstraction en photographie commencées au début des années 1950.

En 1970, il voyage en Belgique pour réaliser avec Pierre Puttemans les photographies d’un livre sur l’architecture moderne en Belgique. Il est alors souvent accompagné et aidé par son fils. À partir des années 1970,  il devient membre de nombreux jurys de diplômes d’écoles d’architecture.

En 1985 , à l'occasion de son exposition au Musée Réattu dans le cadre des Rencontres Internationales de la photographie à Arles, il reçoit la médaille de la ville d’Arles. En1988  il reçoit la Mention spéciale du jury du Mois de la Photo à Paris, suite à son exposition dans la Grande Halle de la Villette.

En 1992 , il est fait Chevalier de la Légion d‘honneur et en1993. il se voit décerner la médaille des Arts Plastiques de L’Académie d’Architecture de la Ville de Paris.
1994 : Chevalier des Arts et des Lettres.
2000 : Grand Prix de photographie de la Ville de Paris.
Son fils Daniel Rodolf Hervé, décède de maladie le 13 octobre.

2001 : élu membre de l’Académie des Arts et des Lettres « Széchenyi » de Budapest.
2004 : en mémoire de leur fils Rodolf, il initie, avec son épouse Judith, le prix « Lucien Hervé et Rodolf Hervé ».

Il décède le 26 juin 2007 à Paris, à l’âge de 97 ans. Il est enterré au cimetière du Montparnasse.


Pour conclure, trois citations, d'Attila Batàr,un homme qui l'a bien connu:

«Son regard résulte de sa générosité: c’est quelqu’un qui est sensible au malheur des autres.» **

«Quand il organise une grève dans le milieu de la Haute Couture, cela lui fait perdre son travail.» En captivité en Allemagne, ses camarades le choisissent comme porte-parole et il exige des gardiens nazis qu’ils respectent la Convention de Genève à l’égard des prisonniers de guerre.» **

«Ajoutons à tout cela le fait que malgré la maladie l’ayant paralysé à vie depuis ses 55 ans, il a continué à travailler et à prendre des photos en chaise roulante : pour citer son médecin, c’est en ignorant son mal qu’il l’a vaincu.
Il n’a pas été seul dans son combat : sans la volonté surhumaine de sa compagne, son épouse Judith, il n’aurait pas pu réaliser son œuvre, particulièrement dans les quarante dernières années. Elle était à ses côtés, elle l’encourageait, elle le déchargeait de toutes les corvées à chaque fois qu’elle le pouvait, elle s’occupait de ses œuvres, des expositions, de tout ce qui avait trait à la vie artistique et quotidienne.
Sa vie tient du miracle mais il est plus juste de dire que c’est à sa force d’âme, à son instinct de survie et à la lutte vigoureuse de son corps qu’il la devait. C’est incroyable, mais en 2005, confiné chez lui, il faisait encore des photos, à 95 ans. En exposant les photos de cette période, il a encore engrangé de grands succès, jusqu’aux derniers temps.»**



*citation extraite de l’article de Claire Guillot , paru dans Le Monde, en juillet 2007.
**Attila Batàr est un architecte , et écrivain d’origine Hongrois, qui a écrit un article, dont sont extraits, ces citations.


Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, je recommande l'excellent ouvrage d'Olivier Beer intitulé "L'Homme Construit" publié aux Editions du Seuil.

Pour voir, ou revoir des images de Lucien Hervé, n'oubliez pas l'exposition "Vivants" qui se tiendra du 10 février 2011 au 30 avril à la Maison Robert Doisneau, à Gentilly.

Site Web : www.maisondelaphotographie-robertdoisneau.fr


Roland QUILICI

Pour en savoir plus sur les illustrations de cet article :

Photo 1 : © Lucien Hervé
Visiteurs anglais, gare du Nord, 1949
courtesy galerie Camera Obscura

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Chronique par Roland Quilici
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Au service de la photographie depuis 2001